Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Articles

Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

Image de présentation
Interview
30/12/2024

eat-girls

"De plus en plus, notre travail devient un travail de production où l’on façonne l’électronique"

Genre : apartment music / pop / electronics
Photographie live : Gweza
Posté par : Töny Leduc-Gugnalons

Trio lyonnais né de la pandémie, eat-girls – ils vous sauront gré de bien vouloir respecter cette graphie - développe une musique d’appartement éclectique qui pioche ses inspirations dans l’histoire de la musique, sans la moindre œillère. Cette balade transcende les genres et génère toutefois un ensemble cohérent dont la fraîcheur contraste avec la lourdeur de notre époque. La sortie récente de leur premier opus, Area Silenzio, est l’occasion de s’arrêter un instant sur ce qui pourrait se révéler comme l’un des phénomènes français du moment.

Obsküre : Sans vouloir vous faire offense, vous semblez tous trois sortir d’écoles d’art (rires). On vous connaît encore assez mal dans le milieu de la musique, pourriez-vous alors nous éclairer sur votre parcours culturel ?
Maxence : Nous n’avons pas fait d’écoles d’art, pour commencer (rires), ou pas dans le sens où tu sembles l’entendre… Pour ma part, je n’ai pas vraiment fait d’études d’ailleurs, mais je suis passé par une école de musique.
Elisa : Oui, nous avons tous les trois fait l’Ecole Nationale de Musique à Lyon mais nous étions déjà amis avant d’y entrer. Amélie et moi nous sommes rencontrées à l’université où nous avions fait des études de gestion culturelle, et Max a rejoint notre colocation peu de temps après.

Comment est née l’idée de fonder le projet eat-girls ?
Elisa : C’est venu au départ du confinement en 2020, même si nous avions déjà envie de fonder quelque chose avant la pandémie. Amélie et moi-même faisions d’ailleurs partie d’un groupe de psyché et le confinement est venu torpiller un peu le projet, parce que nous ne pouvions plus répéter… L’ennui généré par le confinement nous a amenées, Amélie et moi,  à reconsidérer les choses dans notre appartement. Nous n’avions au départ aucune prétention particulière, si ce n’est de nous amuser, et nous avons décidé d’enregistrer quatre titres avec le peu de matériel dont nous disposions alors… et le peu de compétences, il faut bien l’admettre (rires) !
Amélie : Nous avons ensuite communiqué par le biais des réseaux sociaux et entrepris de faire un concert dans notre appartement. Cela correspond au moment où Max a rejoint notre colocation et nous l’avons intégré au projet.

Existait-il alors un concept ou une direction artistique que vous souhaitiez prendre ?
Maxence : Non, absolument pas… Notre démarche relevait davantage de la plaisanterie que d’autre chose. Il n’y avait pas cette ambition de développer le projet outre mesure… Nous nous sommes pris au jeu au fur et à mesure des concerts et des retours positifs…
Amélie : On adorait surtout le fait de jouer devant un public dont l’enthousiasme a fini par nous galvaniser.
Elisa : Mais il s’agissait surtout de ne pas se prendre au sérieux.
Maxence : C’est devenu malgré tout plus sérieux au fil des mois et à partir du moment où les salles ont commencé à rouvrir.

D’où vient le nom eat-girls ? Est-ce une injonction ?
Elisa : (Rire) Non, pas du tout ! C’est simplement un jeu de mots autour de la "it-girl", l’idée de prendre les influenceuses en dérision, se moquer de la dictature du goût des réseaux sociaux, ce genre de trucs…

L’écoute attentive de votre concert m’a permis de glaner dans votre musique un certain nombre de références comme Young Marble Giants, Sonic Youth, ce qui pourrait être aussi une version électronique de The Slits, etc. Si, sur le plan culturel, ma génération s’est globalement construite en opposition à celle de ses parents, la vôtre a contrario possède cette capacité et cette ouverture qui lui permet d’aller piocher des références multiples dans chaque décennie… Comment vous êtes-vous construits sur le plan musical ?
Elisa : En ce qui nous concerne, Amélie et moi, nos références sont pleinement actuelles même si, quand on a débarqué à Lyon, nous avons fait connaissance avec la new wave et la coldwave au travers de la programmation du Sonic, un lieu qu’on a découvert plus ou moins par hasard…  
Maxence : Ce ne sont naturellement pas des références que l’on va renier mais ce n’est clairement plus ce vers quoi l’on tend aujourd’hui.
Elisa : On se dirige effectivement vers des choses à la fois plus pop et plus électroniques.

On a effectivement le sentiment que la musique électronique dansante prend le pas sur le reste et que votre set est construit précisément autour de cette progression rythmique qui finit en apothéose…
Elisa : C’est exactement ça… On pioche finalement dans de nombreuses références mais sans perdre de cohérence.
Amélie : Nous nous sommes d’ailleurs posé la question de savoir si ces multiples directions musicales n’allaient pas, en définitive, apparaître comme une sorte de patchwork maladroit…
Maxence : C’est vrai qu’on s’est un temps demandé si l’on n’était pas en train de faire n’importe quoi mais on a davantage confiance aujourd’hui et davantage de certitudes sur ce point... Pourquoi faire un choix, de toute façon, quand tous ces différents styles sont au final une source d’inspiration ? C’est aussi la raison pour laquelle nous ne parvenons pas vraiment à définir le genre auquel appartient notre musique… On fait ce que l’on aime, ce n’est déjà pas si mal.

Comment êtes-vous arrivés chez le label allemand absolument mythique qu’est Bureau B ?
Maxence : Par hasard (rires).
Elisa : C’est un peu ça, effectivement, mais essentiellement grâce aux réseaux sociaux… Daniel Jahn me suivait sur mon compte personnel depuis quelques années ; je me suis intéressée à ce mec qui "likait" mes photos et je suis tombé sur Bureau B, un label dont on ignorait tout pour être honnête. Ça correspondait précisément au moment où nous étions justement en quête d’une maison de disques, mais on n’y croyait pas beaucoup. On a pris contact, on lui a envoyé les démos et tout s’est très rapidement mis en place.
Maxence : Sans prétention, on a eu le sentiment qu’ils n’attendaient que de sortir notre musique. De notre côté, nous n’étions pas très sûrs de ce que nous leur proposions mais, eux, n’ont jamais rien eu à redire.
Amélie : On s’est pourtant montré très méfiants au départ, quand on a reçu des contrats de vingt pages en anglais (rires).
Maxence : C’est-à-dire que tout semblait se mettre en place de manière si aisée qu’on s’est effectivement montré suspicieux.
Elisa : Depuis, on s’est d’ailleurs entouré d’une manageuse pour prendre soin de nous (rires).

Quels sont les thèmes que vous abordez dans les chansons ?
Elisa : Il n’y a pas de thème précis, plutôt des images…
Maxence : Ça dépend de chacun de nous en fait, puisque nous écrivons tous les trois.
Elisa : Il peut y avoir des anecdotes de vie, des inspirations de l’instant…
Maxence : Certaines chansons reposent aussi sur une dimension plus conceptuelle.

Comment s’opère au sein du groupe la phase de création musicale ?
Amélie : En règle générale, quelqu’un apporte une idée et nous nous en emparons collectivement… C’est un processus qui s’établit souvent à distance ; chacun travaille de son côté dans un premier temps et c’est sans doute ce qui contribue à l’effet "patchwork" de l’ensemble…
Elisa : Nous sommes trois gros introvertis, si bien que nous ressentons le besoin d’être d’abord seuls chez nous (rires).
Maxence : De plus en plus, notre travail devient avant tout un travail de production où l’on façonne à notre convenance l’électronique : triturer des samples, expérimenter une matière sonore… Il s’agit aussi de tirer de nos instruments respectifs des sons inattendus.

J’adore le morceau "Canine", que j’avais déjà repéré  lors  du concert… Que peux-tu me dire sur lui en particulier ?
Elisa : Merci ! "Canine", c’est pour nous une sorte de petite comptine sarcastique, on vous fait croire qu’on joue bêtement le rôle qu’on attend de nous, à disposition, douce et badass à la fois, un peu naïve, un peu maladroite… Elle est pratique cette chanson, car elle reste dans la tête des gens et nous prenons toujours beaucoup de plaisir à la jouer sur scène.

Comment appréhendez-vous justement vos prestations sur scène ?
Elisa : C’est clairement l’aspect de notre travail que l’on préfère.
Maxence : Nous proposons toujours plus ou moins le même set et on opère certains changements en fonction de notre propre ressenti, en fonction du public également… Hier, par exemple, on a joué avec Emily Loizeau à Allonnes devant un public plus âgé, des enfants, et on savait très bien que nos morceaux les plus noisy ne seraient pas adaptés à un public venu écouter avant tout de la chanson française.
Amélie : Ça donne aussi à eat-girls un côté "tous publics".
Elisa : Ce soir, à Brest, ça s’est bien passé… J’ai levé la tête dès le premier morceau pour vérifier la "lumière sur les visages" si je puis m’exprimer ainsi (rires), j’ai ressenti des sourires et de l’attention, ce qui m’a mise en confiance de suite.
Maxence : C’est intéressant de constater que chacun ne vit pas le concert de la même manière ; l’impression qu’on a toujours du mal à se mettre d’accord (rires). Comme par hasard, les prestations qui ont fait l’unanimité demeurent nos meilleurs concerts…

Qu’attendez-vous de ce premier album qui vient tout juste de sortir ?
Maxence : Un maximum de thunes, naturellement (rires)… De belles opportunités en tout cas !
Elisa : Nos précédents concerts nous ont prouvé qu’il était attendu par notre public.
Maxence : C’est un album dont nous sommes fiers, pour le moins…

Qui est l’origine de l’artwork de l’album ?
Elisa : C’est Manon Michèle, une Parisienne, qui a conçu la pochette. Nous l’avons découverte par le biais de ses réalisations pour le groupe espagnol Forma Norte et nous avons vraiment beaucoup apprécié son univers. Nous ne la connaissons pas personnellement mais nous avons décidé de la contacter pour l’artwork d’Area Silenzio.
Amélie : Nous sommes aussi beaucoup entourés de plasticiens et d’artistes provenant de l’art graphique, et qui interviennent pour la réalisation des clips, des t-shirts, etc.  
Maxence : On essaye toujours de solliciter des gens dont le travail nous plaît, naturellement, et nous savons pouvoir leur faire confiance quasiment les yeux fermés.

Il était question de faire une date où vous réinterprétiez vos morceaux avec des instruments à cordes dans un style plus "symphonique" me semble-t-il... Comment s'est passée cette expérience ? Quelles leçons en avez-vous tirées ?
Amélie : eat-girls en sextet a été un concert mémorable pour nous. C’était génial de redécouvrir nos propres morceaux avec d’autres personnes, de partager la scène avec elles/eux. Explorer d’autres horizons a été très enrichissant et de très belles émotions ont été partagées ce soir-là. Ce spectacle monté ensemble est une grande fierté pour nous toutes et tous. Nous rêvons de pouvoir le rejouer.