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Album
07/12/2024

EHB

Fragments De Sables Emouvants

Label : Musique Moléculaire / Anthomologies Rec.
Genre : drone electro ambient industrial
Date de sortie : 2024/12/09
Photographie : PFL (2024)
Note : 75%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Alors que dans ses années de maturité, Les Tétines Noires permettaient de varier les ambiances et les approches jusqu’à l’implosion post Douze Têtes Mortes, le troisième album, il avait fallu modifier l’ADN pour correspondre aux envies plus récentes. En 1998-1999, exit Les Tétines Noires et place à Lt-No. Mais, la pulsion rock’n’roll glam, "live fast and die young", restait présente et Dead Sexy Inc., à partir de 2003, y a en grande partie répondu. Sauf que, la trituration de sons et le décalage ne pouvaient plus donner autant de cœur. Alors, Emmanuel a lancé EHb, plus expérimental, plus confidentiel aussi, avec Fragments d’Un Discours Amoureux en 2002. Et il a convoqué récemment son père Joël pour un Pest Modern vivifiant, tout en gardant peut-être de côté Post Gods (un seul mini album en 2011) et ses activités régulières de DJ. Désormais, Emmanuel a toutes ses velléités comblées puisque Les Tétines Noires se reforment pour performer au gré des invitations, et qu’il peut convoquer l’un ou l’autre de ses fantasmes musicaux.

En pleine possession de ses moyens, le musicien a profité d’un séjour dans le studio Rigaer, à Berlin, pour coucher les compositions d’un second album difficile d’approche pour qui ne connaît pas ses faces les plus obscures. "Amatombe" joue du cut-up et de l’assemblage en montrant davantage les cicatrices que les morceaux conservés ; c’est habile et clairement industriel dans l’idée de perturbation puis d’adoration que cela amène. Si nous étions en 1979, ce titre serait déjà culte, refilé entre experts et faisant sa trace au même titre que le "Hamburger Lady", le « Suck me Baby" ou le "Revol Dub" (les connaisseurs reconnaîtront).

Une référence à la poésie sonore telle que formulée par Étants Donnés (mais on s’adresse encore à des spécialistes) permet d’entrer dans le chouette "Tumus et Amanites" (voix de Julietta La Doll) ou plus loin dans l’étrange et très Throbbing Gristle "Exsurgences" tout juste vocalisé ("miettes, débris"...).

On a là une noise électronique majoritairement instrumentale et descriptive, qui entrelace les sonorités et les fait se combattre dans des sous-sols de centres commerciaux désaffectés : un rapide détour rythmique lance une attaque éclair sur "Souleur de Profundis", alors qu’"Immersion karstique", la plus longue et intense des compositions, descend quelques kilomètres plus profond. C’est donc étrange, fort, imagé, à condition d’avoir des références à accoler, tant dans les films d’horreur indépendants que dans des spectacles à la Théo Mercier ("Stalactite" solo noise à guitare saturée et cris lointains, en mode solo rockab’ pour fans de grosses doses de trips étripés). Des pistes plus faciles sont données, comme cette déclaration d’amour telle une noyade qui abreuve "Ivresse en Eau céladon", où je sens le final de L’Atalante de Jean Vigo (mais peut-être n’est-ce qu’une impression). "Doline d’Arc-en-cils" (quelle richesse dans ces titres) prolonge le milieu aquatique avec un très joli sample de ruisseau qui coule sur des cailloux, secondé d’un drone léger et de quelques volutes de chant féminin, à peine esquissées par Filomena Nightingale. Comme un éveil aux premiers jours du monde. C’est vif et délicat dans un geste créatif propre, comme un haïku de trois pistes. A contrario, les amateurs de messe spectaculaire et de performance effrayante feront palpiter leur poitrine avec le court "Loy Psolune".

Il est fondamental, nous dit le plus jeune Hubaut (dont un visuel du grand-père George a été utilisé), de ne pas se mettre de barrières dans la création afin de permettre à chacune de ses faces de s’exprimer, de se donner les moyens. Un seul groupe n’y suffit pas et il serait dommage de ne pas aller au bout des envies. Tenter de coller et mixer tout ça ensemble serait une mauvaise idée car les objectifs et les tensions sont radicalement différentes (et non pas forcément opposés). Pour l’auditeur, il est nécessaire de savoir qui est Emmanuel dans sa complexité artistique (et on ne parle ni des textes, ni du dessin, ni même des séances photos ou des identités multiples qu’il donne à voir). Ses alliances et ses amitiés sont une richesse à laquelle il s’oblige : ce disque est une sorte de gage aussi, fait à lui-même avant tout, pour ne pas s’oublier dans l’un de ses quelconques projets, pour se frotter à ce qui le travaille et le tracasse. Pour donner formes et couleurs.

Tracklist
  • 01. Abime d’Artifices
  • 02. Immersion karstique
  • 03. Tumus et Amanites
  • 04. Ivresse en Eau céladon
  • 05. Stalactites
  • 06. Céliquat
  • 07. Troglomites
  • 08. Doline d’Arques-en-Cils
  • 09. Souleur de Profundis
  • 10. Exsurgences
  • 11. Loy Psolune
  • 12. Amatombe
  • 13. Banquise