L'Homme Sauvage, deux mots laissant présager une entité énigmatique, teintée de mystère... Enraciné dans les Pyrénées, le festival ainsi nommé est enveloppé d'une atmosphère singulière et particulière. Car c'est plus qu'un festival : une expérience à l'ambiance mystique, une immersion totale avec des groupes aux atmosphères fortes, un décor majestueux, ayant comme point d’orgue le rituel du feu...
Cette année, L'Homme Sauvage vous donne rendez-vous pour deux jours hors du temps, les 27 et 28 septembre à Auzas, avec douze artistes, des exposants, restauration et espace pour camper sur place.
Mais qui se cache derrière cet (étrange) Homme Sauvage ? Rencontre avec Yan Arexis (Stille Volk, La Breiche, Coume Ouarnède, Cober Ord, Ihan, Sus Scrofa...) qui lève le voile du mystère pour nous…
Obsküre : Bientôt, L'Homme Sauvage fêtera sa troisième édition à Auzas au pied des Pyrénées. Peux-tu nous raconter en quelques mots comment est née l'idée de ce festival ?
Yan Arexis : Nous jouons peu avec La Breiche ou Stille Volk. Et les occasions sont très très rares de jouer dans des environnements particulièrement stimulants, au cœur de la nature. Comme personne ne nous proposait ça, on l’a fait comme on le rêvait. C’est parti comme ça.
Pourquoi avoir choisi ce nom, L'Homme Sauvage ? Est-ce une référence au Moyen-Âge, où un homme sauvage désigne un personnage qui, selon Lecouteux, vit à la marge "en dehors de l'espace civilisé, soit dans les bois, les montagnes, les landes" ?
Il y a d’abord cet intérêt pour les survivances que l’on retrouve sous une forme folklorisée dans de nombreuses régions européennes du Pays Basque à la Sardaigne, en Bulgarie, en Suisse… etc. Des villageois se griment en hommes sauvages une fois par an lors de fêtes d’essence païenne. Et tu as raison, dans l’imaginaire collectif et la société médiévale c’est un personnage à part ; c’est l’homme à poils, la force vive, naturelle qui pour autant joue un rôle social, évoque une sorte de frontière.
L'Homme Sauvage offre une programmation variée allant du dark folk à l'ambient en passant par le doom jusqu’au BM, tout en gardant une cohérence d'esprit. Cette année sont présents douze groupes venant de sept nations ainsi que des exposants. Comment s'est fait le choix des groupes et des stands ? Est-ce que vous vous imposez des restrictions en termes de styles musicaux ?
Oui, c’est bien vu, la cohérence. Maître mot. Les groupes peuvent-être aux antipodes dans leur instrumentation et pourtant c’est le même cœur ; il y a toujours une cohérence justement. Je cherche une alchimie dans la programmation. Aligner des noms ça ne rime à rien ! Il faut que ce soit une osmose totale avec l’environnement. On ne s’impose pas de restrictions musicales, ça vient naturellement, mais le travail de sélection est exigeant, très sélectif. Pour les stands, je me permets de rectifier : il n’y a qu'Occvlta et notre propre boutique. Et cette année, à notre demande, un ami bouquiniste vendra des livres choisis de botanique, de Pyrénéisme, d'occultisme, d'histoire régionale… Il n'est pas dans notre intention de créer une zone de stands, ce n’est d'ailleurs pas techniquement possible.
Chaque année, la jauge du festival est d'environ cinq cents personnes sur deux jours. Qu'en est-il pour l'édition 2019 et est-ce une volonté de garder un festival à taille humaine en limitant le nombre de personnes ? Enfin, à qui s'adresse plus généralement ce festival ?
En fait, nous sommes plutôt à mille sur deux jours. Nous étions complets à ces jauges l'an passé. Cette année nous ouvrons à peine à six cents par jour. C'est effectivement notre volonté de ne pas grossir – on préfère… grandir – afin de préserver le soin de l'accueil, le souci du détail… et la préservation d'un site naturel magnifique, cela donne un événement très relaxant. Les gens qui viennent chez nous cherchent avant tout à vivre un moment magique, authentique, harmonieux dans une ambiance totalement immersive.
On peut ressentir lors du festival une ambiance presque familiale, avec la participation de bénévoles résidant dans les villages alentours. On peut aussi déguster des produits locaux : nourriture faite sur place et bières artisanales. Comment se déroule l'organisation de ce festival ?
C’est exact ! C'est effectivement organisé par différentes familles : mères, pères, enfants, grands-parents, oncles... et bien-sûr amis. C'est un choix. Les personnes qui œuvrent ont jusqu’à soixante-seize ans. Et ils sont extraordinaires car c’est beaucoup d'effort, de fatigue. Ils m’impressionnent beaucoup par leur compétence et leur humilité. Au mois de novembre nous nous retrouvons tous pour un repas spécial, en toute simplicité, on poursuit ainsi ce que l'on créée en septembre. Ce que les gens mangent sur place est intégralement cuisiné par Virginie et son équipe, tout est fait main. Les bières artisanales sont brassées à cinq kilomètres ! Concernant l'organisation, nous commençons à travailler sur place dès octobre, pour les hivernages, car il y a des chevaux (Mérens) l'hiver sur le site. Ils font quelques dégâts sur nos installations si nous ne les protégeons pas. Ensuite, durant dix mois nous construisons les installations au fur et à mesure de nos idées.
Pour toi, est-ce important d’ancrer le festival dans la vie locale ?
Je ne sais pas si c’est important d'ancrer L’Homme Sauvage dans la vie locale, ce n’est pas un objectif. Je ne constate que le résultat : les gens viennent parce qu’ils sentent qu'il y a de la qualité, que quelque chose d’unique ou d’insolite se fait là, de façon mystérieuse, presque dans le secret. Cela les inspire, leur donne confiance aussi pour organiser des choses auxquelles on apporte individuellement notre aide parfois.
L’atmosphère du site réside aussi dans le choix du lieu, les Pyrénées, mais également dans tous les éléments mis en scène (sculptures, foyers, bûchers...) qui baignent le festival d’une aura mystérieuse. Où puisez-vous l'inspiration pour créer tout ce décor ? Est-ce vous qui fabriquez tout cela ?
L’inspiration est tout simplement pyrénéenne. Ce n’est rien de plus que ce qui nous inspire depuis presque trente ans avec Stille Volk ; ce regard profond, parfois sombre et fantasmé des Pyrénées, de la nature, de la forêt, des archaïsmes. Oui, on fabrique tout de A à Z, en bois, de préférence brut. Le moment de l'événement n’est que l’aboutissement d’un long processus créatif.
Dans la présentation de L’Homme Sauvage on trouve cette phrase : "Plus l’homme moderne subit sa modernité et plus grandit en lui l’homme des bois. Alors l’archaïsme se dessine comme grande source de modernité." Peut-on y voir un regard critique sur le monde contemporain, où les liens avec la nature et le mysticisme sont de plus en plus distendus ? Par ailleurs, le festival se conclut en apothéose par le rituel du feu, serait-ce une envie de retourner à l'essentiel en contact direct avec notre environnement, le rythme des saisons et les rites qui les fêtent ? Une façon de retrouver le sacré ou une forme de spiritualité ?
Je pense souvent à un homme enfermé dans le bureau d’une grande tour parisienne, un jour de pluie. Il regarde au loin et pense à une montagne, au sommet sur lequel il pourrait se trouver assis, au calme, face à un paysage grandiose. Je me dis que cet homme moderne a envie de cet homme-là, sauvage, naturel. Peut-être se dit-il que ces paysages archaïques représentent une perspective, un futur pour lui. Peut-être qu’à cet instant il a un autre regard sur l’archaïsme face à une modernité qui parfois l’entrave. Il ne faut pas y voir une critique du monde contemporain, qui a bien des aspects favorables pour notre quotidien. L’Homme Sauvage est espace-temps, comme beaucoup d'événements. C’est un autre rythme, un autre regard. Le rite du feu, qui clôture est lié au classement Unesco des feux de Solstice dans les Pyrénées Centrales, c’est une tradition qui retrouve maintenant une vigueur ; c’est captivant, intemporel, simple et vrai, beau. Je sais que beaucoup sont touchés ou inspirés par l’ambiance qui se dégage de ce feu. Le temps du feu, on crée un moment magique avec des gens que l’on ne connaît pas.
On peut trouver sur votre site web un itinéraire de balade pour se rendre au festival et découvrir du patrimoine local pour mieux apprécier le séjour. Vous proposez aussi une playlist avec des groupes qui sont venus jouer ou d'autres aux atmosphères proches. Est-ce une manière pour vous de prolonger l’immersion dans l'ambiance du festival ?
Des gens traversent l’Europe, l’Atlantique ou viennent de Russie pour deux petits jours d'événement. Autant passer plus de temps ici, au moins une semaine pour profiter de lieux sauvages, de sites mystiques (cromlechs, patrimoine Roman, sites naturels...). Si ces parcours peuvent faciliter le séjour des gens dans les Pyrénées, tant mieux. On propose des choses qui sortent de habitudes et sont en phase avec l’inspiration de L'Homme Sauvage. Mais vous avez vu juste, c’est une manière de prolonger l’immersion en comprenant d'où vient l’inspiration de l'événement. Donc si vous pensez venir, venez plutôt une semaine, vous ne serez pas déçus par les Pyrénées… . Les playlists présentent des coups de cœur, parfois des groupes que l’on imagine chez nous… on verra. Il y en aura une par mois. Merci pour ces questions et l’intérêt réel que vous portez à cet événement que vous connaissez.