On avait eu il y a fort longtemps un premier volet de ce qui est désormais présenté comme une trilogie : en 2006 sortait le planant et ambient Nyarlathotep. Est annoncé maintenant un troisième volet, sans date précise.
Ce que j'apprécie avec la vision de Gwenn Tremorin au sujet de Lovecraft, ce sont les visuels travaillés et évocateurs qu'il choisit : ceux-ci ne sombrent pas dans la représentation classique des déités ; l'écrin iconographique est donc déjà une ouverture de l'imagination. Et puis, il y a la musique, électronique et sensible plutôt que simplement émotionnelle. Là où Metallica avait lancé des guitares, là où Lovecraft parle de tambours rituels et de flûtes, Flint Glass place des nappes, des triturations, des rythmes synthétiques. Il ne cherche pas la transe (quoique : tentez "The Blackness from the Stars" à fond dans une pièce noire !), ni la violence ou la terreur. Il dépeint plutôt les étendues de l'espace, ces confins inaccessibles où flottent et patientent ces entités. C'est ainsi que s'inscrit "Nyctelios", une pièce dans laquelle la veine Tangerine Dream / Klaus Schulze est plus présente, rejoignant les travaux de Signal~bruit par exemple.
J'ai une préférence pour des morceaux qui raclent davantage et se font moins consensuels : ainsi "Lu-Kthu" a une structure plus alambiquée et des harmonies plus sombres. La découverte de ce titre offre plus de variété et d'inattendu. Toutefois cette remarque particulière ne se veut pas générale puisque l'ensemble de l'album se montre bien plus pertinent que son grand-frère : Nyarlathotep était en effet construit d'un bloc, surgi d'une idée unique mais déclinée en plusieurs évocations. Avec Azathoth, Flint Glass couvre un spectre plus large : les idées sont donc plus nombreuses, et pourtant l'album ne perd pas son unité de concept. J'y reviendrai plus bas.
Soudain, au détour d'une partie rythmique, on croit entendre une voix : "Shub-Niggurath" s'exprime-t-il avec un ordre ? Une victime est-elle figée dans une répétition éternelle ? Juste après, l'impression de cérémonie espionnée se renforce : "The Troubler of the Sands" fait surgir des sons imprécis, évocateurs dans leur densité et souffles, grognements. C'est le titre le plus long, celui qui donne forme et diffuse sur les autres lorsqu'on réécoute l'album. Avec lui, le disque bascule dans le trouble et y gagne en épaisseur. On sait que surgira de nouveau ce moment important, pour le disque, mais aussi pour la carrière de Flint Glass (dont la précédente production était le EP sorti chez Sealt et Ant-Zen, Psychopomps).
Comme je l'esquissais, les éléments des morceaux forment un ensemble homogène alors que les pistes sont multiples. Si on ausculte "Cognitive Resonance", on s'aperçoit d'abord que les sons sont uniques, singuliers, et non pas issus d'une banque de données ; leur traitement donne à chacun un positionnement dans le spectre et une "attitude" : j'entends par là que le léger écho des percussions principales amène une action, alors que les percussions et cliquetis secondaires forment un décor qui regarde (ou des mandibules qui s'agitent). Le fond diffus cosmologique est formé d'un drone discrètement tournant sur trois notes (parler de notes reste cependant très maladroit) tandis qu'en parallèle une ritournelle apporte son élégance. Le démarrage de plus de deux minutes avait installé un double drone presque vocal (comme une longue plainte ou un chant) et des crépitements. Ainsi, la composition passe d'une première partie décorative et mouvante, à un thème plus inquiétant et trépidant.
C'est cette capacité à créer des sons et du sens qui assure à Flint Glass une place méritée dans les références des musiques electro dark ambient ; sur le plan technique, il est étonnant de constater que l'album de 2006 ne pâtit pas des affres du temps, ni dans la manière de composer, ni dans l'utilisation de la technologie et le rendu du son. Flint Glass avait déjà sa voix et ses intentions.
L'édition vinyle collector (cent-vingt exemplaires) est un octogone de bois et plexiglas, maintenu par des aimants dont le packaging a été conçu par Evgeniy Kuleshov : une merveille dans l'esprit du Flint Glass & Collapsar, Deus Irae !