FM Einheit, vétéran de la scène indus, nous livre ici une vision onirique interprétative bien barrée (datant en réalité de 2017 pour le compte d’une exposition, Cold Spring fait acte de réédition). Double album audacieux, bigarré, Exhibition Of A Dream est à la fois accessible et complexe, basé sur les rêves de différents artistes (lui-même inclus). Bénéficiant de la participation de camarades renommés (Lee Ranaldo, Sunsan Stenger ou le regretté Genesis P-Orridge), l’Allemand construit son propos d’une manière résolument hardie. Les structures sont présentes, la rythmique opère un travail d’exécution souvent judicieux, mais il décide fréquemment de couper net toute forme de trame mélodique. Aussi, les textures s’imposent, mais l’ambient n’est que faiblement invoqué ("Death Progression", "FFW", "Un Sognio tessuto in Tapeto", "Joyful Pleasure ») ; Einheit préfère se servir de l’électronique pour conduire l’auditeur dans un voyage éternel en manipulant le son de façon à la fois harmonieuse et décalée.
Quelques éléments vifs font leur apparition, déconstruisant la douceur presque easy listening du début (cf. "Alpine Traum"). Ainsi, on peut percevoir un peu de jungle sur "Un Sognio tessuto in Tapeto" et l’incorporation de bruits épars rend justice à son passé de maître noisy. Mais le plus important reste sans doute cette narration constante. Les spoken words sont comme des contes urbains et anciens, nous projetant dans une atmosphère aussi bien moderne et cool (le jazz n’est jamais loin) que sombre, renforcée par moments par une quête du drone parfait ("Dark Dream (in D)" et ses faux airs de Time Machines, "FFW"). Le style évoque alors certains efforts de Brian Eno, notamment le projet Passengers (collaboration avec U2) sur "Alpine Traum", ou l’album Drums Between The Bells (réalisé avec le poète Rick Holland) sur "Death Progression". Le deuxième disque est en revanche majoritairement instrumental.
L’aspect plus anarchique des sonorités dessert quelque peu le projet, les deux premiers morceaux sont assez vite oubliés. Cette baisse de régime est heureusement tempérée par "Un Sognio tessuto in Tapeto" et surtout "Joyful Pleasure", pièce délicate et cotonneuse, un downtempo languide ravissant. Enfin, "Creation re/created" clôt le débat. Vision cosmique d’un GPO au timbre si reconnaissable, il nous entraîne dans les méandres de son songe dément. Musicalement, le bilan est discret, c’est vraiment cette voix qui nous berce, nous invitant à l’accompagner dans sa balade hallucinée. Une belle conclusion pour un opus qui s’avère tout de même un peu décevant. On relève de bons moments, cités ci-dessus, mais l’ensemble manque de corps, de réel moment magique. Il y a une forme de frustration, on espère à tout moment être guidé dans ce délire expérimental, mais Einheit semble négliger les pistes qualitatives qu’il ouvre pourtant souvent. Il choisit de perturber sans arrêt ses élans en les surchargeant d’effets. Constat mitigé, mais on lui reconnaît tout de même une grande inventivité.