En 2018, Principle of Pain inaugurait le nom de Fotocrime et voyait l'ancien métalleux R dresser les plans d'un rock gothique à tendance FM, quelque part entre The 69 Eyes, Tenebre (réécoutez Heart's Blood), Type O Negative et Aeon Sable. South Of Heaven (on y retrouve le titre de l'album culte de Slayer) poursuit et assoit cette démarche.
Le son global n'est pas révolutionnaire : c'est un climat déjà entendu, facilement catégorisable, aux gimmicks évidents. Toutefois, on retrouve dès "Invisible" la patte et le professionnalisme qui avait su séduire : la production est claire, voix profonde bien mise en avant, vraie batterie qui claque, guitares spatialisées (Hayden Menzies de Metz s'invite sur ce titre), pistes de chant féminin supplémentaires, basse qui ronronne, chaque élément bien placé dans le spectre sonore. Cela sonne minimaliste et propre alors même que c'est dense et travaillé (le groupe a mis le paquet : sessions avec Albini, Simon Small et Robbins, ce dernier, issu de Jawbox se chargeant de la production). Là encore, une écoute forte et/ou au casque est nécessaire (on ne dira jamais assez le mal que font de mauvaises enceintes, un format .mp3, une écoute via smartphone...).
Il faut creuser cette évidence et cette reconnaissance immédiate pour comprendre la mise en danger de Fotocrime, sa manière de tourner autour du format classique. Ses morceaux cherchent les durées de cinq minutes, ces deux minutes supplémentaires par rapport à une attente de radio, qui permettent de placer des breaks, des moments de troubles musicaux (le titre central "Never fall out of Love" s'appuie sur ce malaise). Bien sûr, il y a ce côté clinquant, appuyé qui resurgit encore, trop américain, trop rutilant, le côté goth'n'roll du cuir et de la belle mécanique ("Love is a Devil") et on privilégiera ces morceaux aux climats plus européens, un soupçon de mélancolie, de guitares curesques, ce romantisme noir qui habite aussi Kill Shelter. Il n'y a pas de hasard, ça sonne mieux avec un soupçon d'électronique et un mid-tempo descriptif ("Up above the World").
Le recours à des motifs FM des années 1980 ajoute clairement un plaisir régressif, des effets datés, des couleurs rétro assumées dans les chœurs illuminent et décalent ce rock gothique. De gros dur, Fotocrime passe à gentil méchant à la Lost Boys. Quelques faux pas parsèment le disque : le slow "Hold Me in the Night" prend la forme de nappes de synthés rehaussées de piano et la voix passe à travers un léger effet. Cette distance, en accord avec les sentiments, force un peu trop le titre dans la gentillesse, malgré des paroles sombres. Le propos se fait plus acéré avec la suite qui accumule les bons points : la scansion est tendue, syllabes bien détachées sur un fond cold-dark rock en mid-tempo qui balance bien ("Never fall out of Love") ; la formule du tube typé est redoublée via un rock maniéré et policé, sur le fil entre attirance et répulsion ("Expulsion from Paradise", sauvé par le break et sa rythmique, gagnant en profondeur par le doublement des lignes vocales sur le final) ; un titre en forme de bœuf collectif, grosse artillerie exutoire de dance-rock-goth pas forcément ma tasse de thé, mais passage obligé ("Bluesmoke", deuxième single avec Janet Morgan de Channels, Nick Thieneman de Young Widows, Erik Denno de Kerosene 454 et Rob Moran de Unbroken).
Pour finir son disque (dix titres, les meilleurs albums en comptent huit...), R. place deux pépites : "Chaos & Cosmos" se la joue Killing Joke et résurgences post-punk à la Lords Of The New Church. Enfin, la pièce maîtresse est sans conteste "Tough Skin", dont les trois notes électroniques et la boîte à rythmes sont prêtes pour n'importe quel club electro-goth fétichiste.
R. a pris des risques, une nouvelle fois, titillant les mémoires en cherchant un son risqué, une atmosphère globale décalée, marquant des points grâce à ses compositions léchées.