Intéressant de retrouver Frustration. C'est que désormais les challengers se sont multipliés. Varsovie, Joy/Disaster, Lüderitz, Rendez-Vous, Litovsk, Oi Boys, Gwendoline, Tisiphone et peut-être Larsovitch font tourner la roue du post-punk au sens large avec des variations pour chaque chapelle.
Les chapelles, Frustration, dès leurs débuts en 2004, n'en avaient rien à foutre. Usant de références solides à une sous-culture en partie délaissée (Gang Of Four, Wire, Metal Urbain, Magazine, Crisis, PIL, The Ruts...), ils faisaient feu sans se forcer à être gentils, aussi bien sur disque qu'en concert ou en interview. On retrouve de nouveau cette hargne, cette colère froide et funky sur "Path of Extinction" : les volatiles dont on entend les pépiements ne sont pas rassurants, ni new age, ils chantent pour mieux se moquer de nous. Frustration endosse le rôle des oiseaux de mauvais augure. Les dinosaures ont survécu sous la forme de volailles qui se gaussent de nous ; et nous, alors, à quoi ressemblerons-nous une fois ces fichues portes franchies ?
En attendant la fin du monde, Frustration fait danser. Les mélodies sont travaillées avec ce qu'il faut pour sonner immédiatement et un enrobage moins évident pour le plaisir de jouer et se surprendre ("Catching your Eye" et son long break fascinant). Comparaison n'est pas raison, alors on va chercher une référence à l'international pour dire qu'on les place au-dessus des Fontaines DC qui ont quand même pas mal adouci le propos, alors que nos Frenchies tirent encore à boulets rouges ("State of Alert"). Faut dire que sur le clavier agressif, il y a Bracco, les compères de label, qui le manient vachement bien. Et Frustration a besoin de défis, de concurrences, de duels, d'être remis en cause. Une question d'orgueil, de fierté. Un truc populaire qu'ils ont toujours eu, pas pour rien qu'un des groupes pré-Frustration (celui de Fabrice, le chanteur) s'appelait Les Teckels. Vous connaissez les teckels ? Sale caractère !
Alors, on sourit en les entendant chanter et vitupérer en français, dans une diction syncopée et narquoise qui faisait les belles heures de notre punk alternatif des années 1980, une époque où eux vivaient leur adolescence en écoutant sans doute Laid Thénardier, Les Vampires, Edith Nylon et tant d'autres (car ces gars sont des encyclopédies et trouveront toujours à redire quand on les catalogue). Un peu plus loin, sur "Pale Lights", on retrouve cette basse déboussolée qui m'avait fait citer les Lucrate Milk lors de la chronique de leur premier album, mais conjuguée à une guitare toute british 78. "Consumés" est un cri de rage contrôlé, parfait dans sa morgue et sa dénonciation éraillée et sur le fil. Tout le monde y passe : le conflit générationnel, l'égocentrisme de chacun, la dépression comme excuse à l'inertie, l'überisation.
Un passage vers la contemplation avec une ritournelle berceuse en allemand, un duo féminin-masculin accompagné d'un couinement rythmique hilarant et horripilant. C'est Anne d'Hammershøi qui est venu donner une leçon d'allemand. On peut imaginer une provocation douce-amère à la Throbbing Gristle / Psychic TV : c'est "Vorbei" qui surprendra ceux pensant avoir tout entendu, alors que cet album revient à un haut niveau (ce que n'avaient pas, loin s'en faut, les deux précédents, marquant le pas).
Et, parce que les étiquettes c'est mal, ils sortent "Riptide", un improbable tube inclassable pour lequel j'ai envie de créer le terme post-gothwave. C'est magistral, élégant, émouvant. On retrouve les Frustration en pleine possession de leurs moyens, innovants, perfectionnistes, agressifs, malins comme pas deux. On les aime ainsi.