La pertinence des arrangements des disques de Gary Numan s'impose, année après année. Son électronique est sensuelle, précise, propre sur elle, calibrée dans un registre post-Nine Inch Nails par un retournement de tendances assez étonnant. L'un des pères des scènes wave, en solo ou avec Tubeway Army, responsable en son temps de merveilleux tubes tels que "Cars" ou encore "Are 'Friends' electric ?" est devenu au fil des ans une icône. Mais, et c'est là que l'Histoire bascule, l'Anglais d'aujourd'hui soixante-trois ans ne cesse de pondre des albums de bonne facture.
Tout n'est pas inoubliable dans cette nouvelle fournée. Ainsi, si la dimension symphonique se mêle d'orientalismes chaloupés pour le très estimable « The Gift », le refrain sucré de "I am screaming" annihile les couplets réussis plus future-pop et en font un titre bancal. Porté par une vidéo classieuse en noir et blanc, typé indus et mage noir, "Intruder" se fait organique et planant, un peu trop poli pour les fans du virage industriel, avec un peu trop de bizarrerie Reznorienne pour rameuter le grand nombre (mais plus de six-cent-mille vues depuis janvier). Un deuxième clip est sorti, pour "Saints and Liars", plus élaboré, tout en paysages rocailleux (ceux qui avaient fait le succès de l'univers de son album Savage en 2017). Notre Gary y déambule près d'anciens volcans, attifé comme un jeune premier. On appréciera aussi le jeu des tonalités sur "Is this World not enough", entre Depeche Mode et Nine Inch Nails (encore et encore) : la voix, mixée très en avant, est juste et magnifique ; pour la célébrer, un break avec chœurs féminins divinisés s'impose comme un grand moment.
De sa génération (l'année 1958), on pourra oser une comparaison flatteuse avec Madonna, fourvoyée désormais depuis de nombreuses années.
La solitude de Gary Numan mise en avant n'est qu'une façade. Dans le monde perdu post-apocalyptique qu'il campe souvent (NDLR : le registre du cru 2021 s’inscrivant davantage dans le "pré-", Numan abordant la présence humaine comme l’intrus, le virus susceptible de détruire les équilibres qui conditionnent la survie de son espèce même), Gary a ses filles : Persia, qui compose avec lui "A black Sun" (c'est aussi avec elle qu'il avait fait son retour commercial) ; et cette fois Raven est là aussi. La perfection de l'enregistrement se comprend avec la signature du producteur et claviériste Ade Fenton (son album Artificial Perfect est conseillé), tandis que Steve Harris (NDLR : son guitariste récurrent, non cité dans crédits principaux de l'album - à ne pas confondre avec le bassiste d'un grand groupe groupe heavy) est supposé, ci ou là, renforcer la présence des six-cordes. Ade Fenton et Numan se connaissent bien, le producteur épaulant Gary depuis plus de quinze ans ; ils avaient également signé en 2014 la BO du film From Inside.
De ces habitudes et de cette connivence vient peut-être que cet album trop rempli est très homogène dans ses objectifs (malgré la balade au piano "The End of Dragons"), basculant progressivement dans l'indigeste… ce qui n'est pas si mauvais pris individuellement. Il faudra alors savourer avec parcimonie, sans chercher ce qui n'y est pas (un chef d'œuvre) et prendre plaisir à un album sympathique, avec des moments forts : ainsi le titre final est un petit coup de maître. "When you fall", astucieusement placé, mérite le titre de tube potentiel.