Treize ans après Catholic, l’ex-Virgin Prunes (1977-1986) remet le couvert solo. La cuirasse electro des nouveaux ensembles, leur inflexion dansante, donnent l’allure d’une ode aux clubs à Ecce Homo, dont le travail a démarré il y a plusieurs années de cela.
Gavin Friday ne signe pas les disques en son nom par hasard, il n’en fait qu’à sa tête et les tensions qui affleurent à la surface du beat coulent d’elles-mêmes. Sur cet opus solo VI, elles ne se posent jamais (ouvertement) la question de porter cet héritage auquel pensent – forcément, fatalement, etc. – ceux qui ont connu le Gavin "d’avant". À peine les vestiges d’une théâtralité d’antan resurgissent-ils une seconde ou deux dans quelque inflexion de la voix (cherchez dans "The Church of Love"). La nostalgie est mauvaise conseillère, la transformation est un fait intégré au corpus du groupe originel et le fait est que nous changeons. Or ce disque impétueux, volcanique à sa manière mais rond en surface, témoigne d’une force de vision. Friday, santé de fer. Deux autres disques sont d’ores et déjà prêts.
Produit par le vieux compère en art Dave Ball (de Soft Cell, qui a déclenché la collaboration par une sollicitation de Gavin pour un hommage à Suicide, en 2015 : remake de "Ghost Rider") et Michael Efferman, Ecce Homo – "voici l’homme", a dit Ponce Pilate – priorise la technologie dans les reliefs donnés à la surface des choses. L’Irlandais crée une ambiance de club jusque dans les exposés les plus lents, où renaît parfois cette impression, vécue il y a des dizaines d’années de cela, de vivre réalité parallèle ("Stations of the Cross", dédié à l’amie Sinead O’Connor). Sur "The best Boys in Dublin", les cordes arrangées par Kenneth Rice encrent au spleen mais une lumière traverse. Le final "Lamento" confirme la tangente organique de la fin de parcours. Guitares, piano, orchestrations : la voix de Friday se pose, le crescendo est opératique, entrez en vous-même. Son de l’osmose.
Les fluctuations du cru 2024 ressemblent à celles de la vie, à leur permanence : de ce qui travaille l’être, des affres (Gavin a perdu moult proches ces dernières années : la vieillesse, le Covid – l’un de ses deux chiens est mort aussi, fidèle compagnon) à la question du vivre ensemble et du pouvoir, Ecce Homo couche une écriture en eaux libres. C’est une collection d’authentiques chansons, sans doute plus anxieuse dans ce qu’elle dit que dans son affichage : il y a une substance ténébreuse, mais la production joue la carte d’une patine de confort (les superbes "Lady Esquire" et "When the World was young"). Un beau disque, mais pas les Virgin Prunes. Pourquoi diable le serait-ce ?