Autant on adorait déjà Geins't Naït dans les années 1980, mais depuis la réactivation du projet sous le nom Geins't Naït (alias Thierry Mérigout) + Laurent Petitgand au début des années 2010, chaque disque est un délice d'inventivité et d'ambiances. En 2011, Si J'avais Su, J'aurais Rien Dit a été une vraie redécouverte. Je Vous Dis (2014), Oublier (2015) et Like This Maybe Or This (2020) n'ont fait que confirmer la beauté de leurs expérimentations. En parallèle, des vinyles d'archives ont aussi vu le jour aux éditions Gravats ou le double vinyle Make Dogs Sing (Offen Music). En collaborant avec Robin Rimbaud (Scanner), après avoir sorti un split-EP ensemble, les comparses ne font qu'ajouter à la richesse poétique et surréaliste de leur univers. Et c'est fou comme ils nous semblent retrouver ici autant l'esprit des premiers enregistrements de Scanner au début des années 1990 que le goût de Geins't Naït pour les voix trafiquées, étranges et décalées (comme du temps de l'album Yvone).
Mais ce n'est pas tout : en conjuguant leurs talents, ils nous prouvent à quel point l'esprit d'avant-garde industrielle reste pertinent aujourd'hui, avec ses collages, ses boucles brutes et ses climats oppressants. Plasticiens du son, ils jouent des couches et des couleurs, travaillent les interférences électroniques, mêlent leurs percussions à des field recordings et proposent des édifices où chaque élément est à sa place. La mélancolie des derniers disques est toujours là, mais avec un retour vers ces racines plus noires. Il suffit de plonger dans l'incroyable "370" : grincements, bruitages inquiétants et conversations lointaines se muent en drones nocturnes et puissants, alors que résonne un piano spectral et mélodieux. Digne d'une bande-son pour film d'horreur, cette pièce angoissante rappellera des souvenirs aux amateurs de Raison d'Être ou des Joyaux De La Princesse. Et tout au long du disque, on pense autant à Throbbing Gristle qu'à ceux qui ont perpétué la tradition post-industrielle : les rythmes, le souffle granuleux et le chant de "Bed" pourraient évoquer une rencontre entre Haus Arafna et Neugeborene Nachtmusik, la tension mystique du titre "Ola" avec son beat envoûtant et ses voix creepy renvoie aux morceaux les plus apocalyptiques de Rapoon ou Muslimgauze.
Le son devient plus concret avec la poésie sensorielle de "Mouche", comme si les insectes volaient autour de notre tête pour nous mener vers une lente dérive mentale. L'onirisme halluciné domine, parfois comme perturbé par des ondes radiophoniques et des voix identifiables (celle de Gilles Deleuze sur "Gilles"). Les strates sonores sont denses, travaillées jusqu'à la perfection. Il pourrait presque y avoir une dimension symphonique mais sans l'attirail orchestral, jusqu'au fascinant "95-MW", superbe comme une mélopée de Troum, enivrant et marin. Encore une réussite donc pour ce projet qui ne déçoit jamais. Un album qui demande plusieurs écoutes avant de réellement nous emporter.