This Shame Should Not Be Mine, le nouvel album studio de la formation de Rotterdam, marquera son parcours d’une pierre blanche. En faisant le choix d’y exposer frontalement les faits d’agression sexuelle subis par le passé par la frontwoman Milena Eva, Gggolddd (anciennement Gold) fait œuvre de témoignage à travers sa nouvelle œuvre d’art, collection de chansons fortes et d'une puissance émotionnelle peu dicible. Le lien unissant l’auditoire au groupe a pris à cette occasion une épaisseur inédite, et ce n’est pas un collectif simplement neuf par le nom qui revient vers vous en 2022.
Obsküre : Le trauma imprègne tout ce dont tu parles dans le nouvel album, et la communication tout en sensibilité qui a été organisée autour de la sortie. Il y a dans ce que fait Ggolddd aujourd’hui une forme profonde d'honnêteté, de courage et, nous el supposons aussi, de nécessité. Ces événements vécus par toi étaient-ils connus du reste du groupe longtemps avant que vous décidiez ensemble de leur donner une place centrale de l'album ? Comment et quand les discussions ont-elles été engagées dans le groupe à ce sujet ?
Milena Eva : Étant mon partenaire dans la vie, Thomas (NDLR : Sciarone, guitare) savait les choses depuis longtemps déjà. Le reste du groupe a été informé de ces faits alors que nous écrivions "This Shame should not be mine" pour une commande du Roadburn Festival. Quand il m'est apparu clairement que tout le travail traiterait du traumatisme, de son contexte et de ses effets, nous avons eu une discussion avec l’ensemble du groupe pour raconter ce qui s'était passé.
Dans le nouvel album, tu abordes une expérience traumatisante et ses conséquences par les mots. Cette substance a-t-elle été difficile à coucher ou parlerais-tu d'une forme d'évidence ?
Curieusement, ça a été facile à écrire. Je veux dire… j'ai commencé à poser tout cela parce que j’avais ignoré mon traumatisme pendant de nombreuses années et là, il n'y avait plus d’issue, plus aucun moyen que je puisse continuer à l'ignorer. Ce n'était pas facile. Mais les mots sont sortis intuitivement, et ça a été une façon pour moi de donner un sens à la situation. De cette manière, c'est devenu presque comme un journal intime – très intime.
Le silence qui règne parfois dans la famille et l'environnement direct de la victime contribue à paralyser sa parole, à empêcher sa libération. Parfois, la victime a besoin de dix, quinze ans avant de parler de ce qui s'est passé. Comment expliquerais-tu – au cas où tu aurais connu ce phénomène – cette peur des autres, cette difficulté à ouvrir le champ de la discussion ?
Il y a beaucoup de façons différentes de faire face à cela, mais je pense que la raison principale est que c'est beaucoup trop compliqué à entendre, à comprendre pour les gens. Ils ne peuvent pas prendre consciemment en charge cela, c’est trop lourd pour le cerveau. Il est simplement plus facile de dire que cela ne s'est pas produit, de l'ignorer.
L'importance ou le thème pour toi, a-t-il compliqué ou libéré l'action du groupe en musique ? Vos choix s’imposaient-ils d’eux-mêmes ou le travail a-t-il suscité du débat en interne : la forme à donner aux choses, etc. ?
Le processus a été assez naturel et similaire à nos albums précédents. Comme le cœur de l'écriture des chansons tiennent Thomas et moi, les autres membres du groupe apportent leurs parties et leurs idées seulement lorsque nous avons déjà une idée assez précise de la chanson. Mais le sujet mène presque toujours à la composition. Il y a une raison pour laquelle, sur cet album, les mots les plus intimes sont chantés sur des parties vraiment silencieuses, en alternance avec des sons vraiment gros exposant une lourdeur : la dimension écrasante des émotions.
La réaction de votre auditoire semble vraiment forte face à ces nouveaux contenus. Les fans redécouvrent ta personne et se sentent profondément concernés par le disque. Comment votre relation avec la fanbase évolue-t-elle, quel genre de messages recevez-vous ?
La réponse est écrasante. Beaucoup de gens se disent touchés parce qu'ils ont malheureusement eux-mêmes vécu quelque chose de similaire. L'une des raisons pour lesquelles j'ai voulu faire cet album est que cela m'aurait beaucoup aidée s'il y avait eu un disque comme celui-ci au moment où l'agression sexuelle venait de se produire. Je me sentais si seule à l'époque… Si seulement la musique avait pu me dire : "Tu n'es pas seule, tu n'es pas coupable, la honte ne devrait pas être la tienne..." Il est donc encourageant d'entendre que cet album a exactement cet effet sur les autres maintenant.
Chacun des derniers clips de Gggolddd capture une dimension particulière autour du thème de l'agression sexuelle et de ses conséquences, et chaque résultat est très fort. Comment as-tu vécu le tournage des vidéos ? Certaines ont-elles été plus difficiles à tourner que d'autres ?
Traiter ce sujet et ce traumatisme a été lourd et difficile dans tous les aspects de la réalisation de cet album. Cela inclut donc les vidéos. Pour "Notes on how to trust", "Invisible" et "Spring", j'ai créé le concept moi-même, ce qui m'a donné le contrôle. Mais faire "This Shame should not be mine" a été plus difficile, car c'est la vidéo la moins métaphorique, abstraite de toutes.
Le fait de choisir Gggolddd comme nom du groupe s'est opéré avec ce travail très particulier. Est-ce un choix définitif ou reviendrez-vous au patronyme Gold plus tard ?
Le changement d'écriture du nom du groupe était une solution nécessaire pour résoudre les problèmes d’accès à notre œuvre en ligne. Nous en sommes satisfaits et n'avons pas l'intention d'y retourner.
Un tel effort, je suppose, implique beaucoup de choses en termes d'investissement personnel pour chaque membre du groupe. Qu'a changé cette récente période de travail dans vos relations internes ?
Faire partie de ce groupe a toujours demandé investissement et implication, et cet album n'a pas changé grand-chose à cela. La qualité des relations est capitale pour nous, à la fois au sein du groupe et avec les personnes extérieures. Mais il est aussi très important que nous éprouvions beaucoup de plaisir à faire et à avancer ensemble. Les gens seraient surpris de voir à quel point les choses peuvent virer au loufoque dans le van.