Le deuil est un processus long (quand il se termine). Celles et ceux qui choisissent de disparaître laissent derrière elles les vivants, leurs regrets : ceux de ces moments partagés, de ces créations qui ne verront pas le jour, cette postérité amputée.
Ce moment de 2017 où Gitane Demone imagine coucher un nouveau bouquet d’émotions intérieures, travaillées par le souvenir du disparu, est comme une conjonction avec les astres de son coopérateur Paul Roessler (45Grave), musicien ayant œuvré au récent service du Quartet de Gitane. Il voit des volutes contemporaines, il veut pour elle un son classique du XXIème, un son qui fera qu’elle s’oublie, que la voix se délivre. Alors les trames cordées qu’il tisse pour Gitane ne sont pas des "chansons" au sens propre du terme mais des espaces de suggestion et de révélation ("Feather ", charnel). En leur feutre de tensions prend place, avec force conviction, la voix de l’ex-Christian Death, entité death rock que créa Rozz Williams (Roger Alan Painter) avant que le partenaire amoureux de Gitane, Valor Kand, en prenne les rênes à partir de l’album Atrocities (1986).
Les premiers échos sont ceux de l’adieu : "Funeral", hanté, où les vibrations de voix tapissent le fond de l’air comme le bruissement qui fourmille de milliers de chauves-souris. La suite est tout aussi suggestive. Les superpositions de couches de Roessler creusent des petits labyrinthes dans lesquels les voix de Gitane naviguent sans que nous puissions dire si elles se perdent ("Cœur", "Exquisite Fits of Delirium"). Une lumière se dessine, à la chaleur ambiguë, dans cet "April first" dont la date sonne un glas que tout un monde partagea dans la distance avec les intimes de Roger Alan. Accepter, continuer sans la présence de l’autre… comment ? Faire des fantômes des compagnons. All truth parallel, all truth untrue.
Si l’avancement sur ce travail a pu souffrir de la période Covid, l’œuvre aboutie aujourd’hui concentre une demi-heure de clair-obscur, ressentis aux variations plus fortes que celles du chromatique (et sensible) Dream Home Heartache couché par Gitane avec Rozz quelques années avant sa disparition : les orchestrations de Roessler étalent un pigment déprimé et romantique (le final "Come "), c’est beau mais pas immédiat, cette musique est de celles qui se gagnent au fil des écoutes. Revenir vers elle, encore et encore, fait naître en vous un attachement : cette musique s’installe dans vos vies parce qu’elle peut faire contrepoint, être accompagnatrice. Elle s’installe comme le deuil : celui de Rozz, auquel Gitane comptait à l’origine dédier ce volume ; celui de Darby Crash (The Germs), l’ami de Roessler, auxquels est dédié The New Young Kings Of Midnight. Un chemin pris à deux, promenade venue paver des rives de consolation.
