Anna Nin ne change pas. Après la profusion d'albums et EPs sortis sous le nom de None, elle a lancé un nouveau projet en 2018, sous le nom de Glaring ("manifeste, flagrant, éblouissant, évident...") et la méthode reste la même : petits tirages sur cassette (ou ultra-limité de trente-cinq exemplaires sur CD ou vinyle par le label Minimalkombinat), pochettes en noir et blanc, hyperproductivité et multiplication des sorties, confidentialité recherchée (pas de concert, pas d'interview, photos choisies, promotion inexistante et chroniques au compte-goutte). La musique, elle aussi est une continuité, au point qu'on s'interroge sur ce qui a motivé ce changement de nom. Une manière de perdre trace ?
Après un album instrumental, Nothingness, sorti en début d'année et un EP six titres en avril, Mortality, Anna Nin expose dix nouveaux titres sur Limbus. On retrouve cette voix brumeuse, noyée dans les échos, psalmodiant en murmures à la limite du discernable. Les rythmes enregistrés, répétitifs forment une trame changeante que les claviers recouvrent de nappes ("No End in Sight", "Don't pray", le magnifique et élégant "I can't escape"). Une profonde mélancolie règne, une fois de plus, la ligne de guitare nimbant "Der Körper Zerfällt" de volutes à la Cocteau Twins ou The Cure.
Des lignes de basses ouvrent certains titres à un entrain différent, ainsi "Not Okay" se fait plus languide, travaillant une mélodie dansante plus joyeuse qu'à l'accoutumée. "Diese Welt ist krank" se fait plus martial avec son rythme trépidant, une voix d'homme se lançant dans une narration sèche. En fin de disque, "Children about Future (1966)" lui répond d'une délicate opposition (douceur et voix de femme en narration). De son côté, "Limbus", qui donne son titre à l'album, est plus noir, la batterie plus sourde et métronomique, invitant à l'exhibition d'un cauchemar. En parallèle, "Vision" se fait plus offensif, s'appuyant sur une construction en couplets-refrains qui en fait un morceau véritable, plus rock dans sa forme et moins dans l'ambiance. Puis "Hold on" renoue avec une collusion cold-EBM étonnante.
Comme le montre sa pochette, ce disque s'appréciera au mieux en observant le voyage de la lune dans le ciel, peu à peu grignotée par des nuages moutonnants, de préférence le long d'une voie ferrée déserte, surplombé par les constructions métalliques. Parfaitement composé, le disque fait alterner les ambiances, permettant à Anna Nin de ne pas plomber par une impression de redite, alors même que la formule reste inchangée. En quelque sorte, elle réussit à créer une entité musicale proche de l'idée des longues séries : on sait ce qu'on va entendre, on sait pourquoi on écoute, et on obtient un lot de morceaux (voire de chansons) qui répondent à ces attentes et reproduisent à l'infini ce mélange d'émotions caractéristiques : nostalgie, frustration, rêve, décalage au monde.
On ne peut que saluer une fois de plus la conviction de Pedro Peñas Robles qui, avec son défunt label Unknown Pleasures Records, avait publié un CD avec un tirage satisfaisant. Car la diffusion uniquement en numérique (ou peu s'en faut) de cette artiste est un crève-cœur.