Établir une définition de la pop-music est une entreprise hasardeuse, tant ses fondateurs que furent, par exemple, les Beatles, n'ont pas suivi de plans extrêmement clairs, jouant avec leurs envies, le métissage musical et le rapport au public en ne délivrant jamais deux fois le même disque.
Guillaume Belhomme (Le Son du Grizli, Lenka Lente, entre autres...) dresse ici une liste bien fournie de la pop anglophone (USA, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande...) qui le marqua dans ses années de formation adolescente. Il reconstruit les années 1985 à 1995, montrant comment le rock dit indépendant se tailla progressivement une place de choix dans un formatage FM trop sucré. Il alterne les grandes figures reconnues à l'influence indéniable (Nick Cave, Sonic Youth, Nirvana...) et les seconds couteaux que nous avons aimés (Throwing Muses, The Jesus Lizard, Bikini Kill...), et que d'autres groupes citent depuis. Sa liste présente alors des inconnus (Pram, World of Pooh, Pitchblende...) et des références typées Inrockuptibles (la Bible de ces années, avec un tirage qu'on ne peut que regretter désormais) comme Drop Nineteens, Swell ou The Field Mice. C'est l'occasion de découvrir ou redécouvrir des talents ; le rassemblement dans son livre de tous ces groupes fonctionne par les parallèles qu'il ouvre en télescopant du "facile" avec du "difficile".
Globalement, cette "pop fin de siècle" parlera aux adeptes de l'anti-rock, de l'outsider music, du bruit, de dissonances, ou de l'accordage suspect des guitares. La sélection "sans souci de hiérarchie" est à la fois singulière (on y retrouve beaucoup du Belhomme d'aujourd'hui) et ouverte à tous. Le soutien de nombreuses citations extraites de fanzines d'époque (dont les compilations Volume) assure un propos qui joue sur deux tableaux : le synchronisme (ce que valait chacun de ces projets par rapport aux autres de la même année) et le diachronisme (leur lecture par l'homme expérimenté qu'est devenu l'auditeur-patron de label en 2020). Régulièrement, on est frappé par la sécheresse des critiques : un album peut s'en tirer par la grâce de trois excellents morceaux perdus dans une poignée d'autres poussifs. On s'ennuie même un peu dans la succession des pages consacrées à The Bats, The Pastels, The La's. Ce réalisme émotionnel fait la force du livre et met en avant facilement une trentaine d'écoutes à venir, tout autant qu'elle donne envie de ré-observer une trentaine de disques pourtant déjà bien connus (nombre à nuancer selon votre culture).
Souvent les groupes présentés sont eux-mêmes des passeurs, enchaînant les collaborations (Gastr Del Sol, The Ex...). C'est aussi que la période retenue est marquante : les cassettes démo existent encore, les pochettes sont belles et audacieuses et les genres musicaux retenus (de cette sélection, n'y cherchez pas thrash, death, EBM, rock gothique, punk ou rap) sont en plein boum : riot grrls, brit-pop, twee pop, noisy pop, shoegaze et dream pop, grebo, Madchester, drone-doom, grunge, post-rock, ambient...
L'iconographie aérée (ça change des fanzines) offre à un bon format les pochettes de disque d'une époque qui intégra le passage du vinyle au CD, l'auteur privilégiant souvent le format cassette, sans doute issu de ses propres étagères. De multiples goodies sont là aussi : tickets de concerts, plaquette presse, et même carte de transport nominative ! Chaque artiste est présenté de la naissance de son art à ses déploiements ultérieurs avant qu'un à quatre disques soient décortiqués.
C'est dans les références hors musique que Belhomme prend son envol, truffant ses textes de renvois littéraires et d'idées sur l'art : sur les sons se posent les échos lointains de Jean Dubuffet, Nico van Apeldoorn, Sylvia Plath, Douglas Lilburn, Albert Camus, William Wordsworth, J.D. Salinger.
Il est alors incongru de finir sur Babybird, une double-page qui ne donne qu'envie de revenir en arrière...
"Il y a de la beauté dans la violence. Une beauté absolue." (Loop)