C'est l'histoire d'un disque ressuscité. Après C’est Gobelet ! est d'abord publié en 2017 sur la page bandcamp du groupe et n'a pas eu d'écho (ou alors vraiment très peu). Ses créateurs sont un duo, déjà impliqués dans plusieurs projets, tous avortés. Gwendoline est né d'un défi potache, allumé par leur intérêt pour Guerilla Poubelle et la cold wave. Une série de titres jetés sur disque, mais que personne ou presque n'écoute. Presque mais pas complètement. Situé du côté de Rennes, le duo bénéficie d'une scène locale vivante et de gens qui ont du flair. C'est le copain Flo qui bosse pour la structure Astropolis qui les pousse à prolonger le délire, c'est un label espagnol qui sort trois cents exemplaires de leur album (Dead Wax Records, en 2020), Jean-Louis Brossard des Transmusicales qui les programme (sur internet, du fait des mesures sanitaires, puis sur scène en décembre dernier), le tourneur Wart qui les récupère, la presse locale qui s'y met, Gonzaï et Mowno à leur tour, Les Inrockuptibles et Libération qui pondent une dizaine de lignes, Radio Béton, Radio Nova, France Inter qui les diffusent... La vilaine hype ? Et pourquoi pas ? Eux ont déjà trouvé la parade, pour nous tous, journalistes et auditeurs nouvellement conquis, avec douceur : "La chasse aux pigeons" s'amuse de ce qui pourrait advenir avec un succès soudain pour des gens trop indépendants, trop underground... Un label est créé pour cette sortie du cimetière, ce sera Mega (Believe Music), dont c'est la première sortie. Là aussi, on apprend en faisant.
Le disque sait aligner les tubes dansants : "Chevalier Ricard" et son "J'en ai rien à foutre" scandé, "Audi RTT" et son clip participateuf qui cumule désormais les 35 000 vues. Malgré ce petit buzz, Gwendoline place son atout en huitième position de cet album mixé par Mickaël et remasterisé par Paulie Jan d'Agit'Prop Studio. Initialement, il ouvrait la face B...
Pierre Barrett et Mickaël Olivette ont beau jouer la carte du second degré, de l'ironie, à l'exception d'"Aquarium" dont on rangera le texte à côté de celui d'IAM "Achevez-Moi", leurs textes et les ambiances noires ne sont pas si feintes. "Chèques Vacances", écrit avant la crise des Gilets Jaunes, épouse au mieux le désarroi générationnel d'une époque. Eux se justifient : leurs paroles proviennent de prises de notes, de conversations entendues dans les troquets ou de plans d'écriture collective avec le jeu de qui trouvera ce qui sonne le mieux. La scansion est immédiatement contagieuse ("SPA tranquille"). Il y a des références multiples : Indochine dans le solo de la guitare sur "Chevalier Ricard", Torso / Lüderitz ("Âmes Sœurs") et Fauve pour les textes sombres en punchlines acides, Diabologum pour ce mélange de rock et de chanson ("La Fin du Monde"), une certaine délicatesse dans cette coldwave moins sombre que d'autres (comme Rapido De Noir l'avait aussi proposé en son temps).
Les idées sont foisonnantes, chacune de ces compositions ayant ses propres caractéristiques. Les points communs sont une attention forte portée sur les plans rythmiques (sons de tablas) et sur la juxtaposition des deux voix. Les lignes de basse, les synthés, les passages plus expérimentaux, les lignes délicates des voix, typées new wave juvénile (le démarrage d' "Aquarium"). Pour transposer sur scène ces compositions, le duo engage deux autres comparses et se met à l'ouvrage. Puisque ça marche, il ne faut pas se foutre de la gueule du public.
Le climat rock'n'roll s'assombrit avec des valeurs qui montent : Noir Boy George, Rendez-Vous, Oi Boys. Que ces groupes bénéficient d'une visibilité nous plaît fortement, car chacun d'eux a son énergie, son univers et sa véracité. Avec cette histoire d'un album qui aurait dû finir aux oubliettes, on a un instantané sur le problème de l'émergence d'un groupe. Pourquoi Après C'est Gobelet ! n'a-t-il pas cartonné dès 2017 ? Pourquoi autant de monde s'accorde-t-il aujourd'hui ? Comment se fait-il qu'un groupe estampillé cold séduise et rameute presque sans trop y croire quand d'autres galèrent vaillamment ? Quels leviers faut-il actionner ? Le débat se fera, je l'espère, hors de cette chronique. Restons pour l'instant avec leur rock cold et profitons avec eux de ce spot jeté sur leur œuvre.