Il est fortement attendu, ce nouvel album d'Hélène de Thoury. Il y a beau avoir du grain à moudre avec Minuit Machine, le projet Hante. a sa propre glace, sa propre démarche et des émotions qui lui sont propres. Chez Hante., le propos est plus plaintif, ancré dans une sinistrose prononcée. Pourtant, les beats frappent plus fort, présents au premier plan dans le mix. Leur traitement assourdi, dans les graves, les cadenasse à être un faux décor, un métronome qui dit le temps qui nous assiège. Le vrai travail reste mélod-mélancol-ique. Les constructions en couches superposées offrent les détails qui feront revenir et découvrir. La composition du disque en deux versants (faussement dansant, véritablement noir) aide également à cerner le propos.
Le battement initial est un terrain de jeu. Ralentir, accélérer, créer des volutes, ne pas céder à l'appel de la nuit à plusieurs, se souvenir du vide, de la solitude, extirper la noirceur, même sous rafales stroboscopiques ("Insanity", fortement rétro). Et c'est la voix, une fois de plus, qui fait la différence, fragile, sans aucun cri, elle s'affirme dans ce chant soufflé, ce chant qui s'éloigne à chaque fois qu'Hélène chante pleinement. Le murmure pour le partage, le chant pour l'appel de ce qui ne vient pas et après quoi elle court, album après album. "Coming Home" est une réussite : lourdeur du rythme et des basses, légèreté des petites notes, voix évanescente dans l'oreille, entre malaise et zen.
Les paroles de "Blank Love" sont une ritournelle de ce malaise, en boucle minimaliste. L'échange raté, les regrets, la chute. Et la musique n'y peut rien : les beats écrasent tout, infrabasses qui nous plaquent au mur d'une discothèque. Les autres dansent, on veut aussi s'y mettre, pour oublier, pour passer à autre chose, sous les pulsions d'une cold-EBM bien efficace. Pourtant il y a ce léger problème, incrusté, inoubliable, qui se rappelle à nous. Le petit truc qui merde et qui hante, ces craquements des braises qui flamboient sans s'éteindre.
"A Lifetime of Desire" étendra ce paradoxe de la caresse et du départ un peu plus loin, électronique racée aux chœurs plaintifs planqués dans le mix, envolée écrasée en rase-motte, survol des émotions. "Catharsis", en flagrant délit de ralenti, tente une sortie de route, histoire de voir si la vie en marge, sur les bas-côtés a ses attraits. L'intention y est, lenteur contrôlée, trépidations, titre puissant, mais le traitement de la voix parlée et une composition qui se cherche créent une attente non comblée.
La musique s'emballe de nouveau avec un "Wasting Time" moins évident, morceau de transition pour son approche duelle entre musique semi-entraînante et voix intimistes. "Transparent" sonne comme un interlude délicat, un tantinet prévisible dans son tricotage de notes et ses nappes (un peu d’In Broken English ou encore du Anne Clark). "Two-faced Angel" équilibre parfaitement acoustique et synthétique, la programmation du pad rythmique est chaude, la ligne mélodique se fait par endroits réminiscence du riff final de "Exterminating Angel" des Creatures – celui à 4.53. C'est pour moi, le titre emblématique de ce nouveau disque, riche, chaud, bourré de petites variations, qui nous tient à la juste distance.
Alors qu'Hante. aurait pu faire un disque facile, à l'énergie communicative et aux mélodies aguicheuses, le choix des nuances est à saluer. Hélène confirme qu'elle sait mener de front deux projets forts, sans perdre de vue ses singulières lignes de force.