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Festival report
01/07/2019

Hellfest 2019 (J2 + J3)

Carnet d'impressions - Partie II

Avec : Tool, Slayer, The Sisters Of Mercy, Moonspell, The Young Gods, Emperor, Dool, Combichrist, Kiss, ZZ Top, Gold...
Photographies : Christöphe Lapassouse
Posté par : Emmanuël Hennequin

Le Hellfest est lancé. Les esprits et corps se sont échauffés, et c’est maintenant épreuve d’endurance. Le soleil perche haut, les degrés sont là et les festivaliers savent où est le fameux mur d’eau. Suite de nos ambiances et rapports de scène. Pour ce qui a été constaté de visu, et comme pour la première partie de notre carnet d’impressions, les noms des groupes restent ornés d’un glorieux astérisque.
 
SAMEDI 22/06

Soleil au firmament. Ceux qui n'avaient pas assez d'eau ont sans doute participé à la mise à l'épreuve des réseaux d'acheminement du houblon sacré. Il y a beaucoup de monde, et il peut arriver que l'on rencontre, ponctuellement, des petits problèmes de circulation, notamment au niveau des scènes Altar et Temple.

Trepalium a convaincu une connaissance, qui nous a évoqué un propos technique et assis. Un peu avant, Fiend avait de même assis son étrange stoner. D’autres, par contre, n’ont pas digéré le bruitisme de Will Haven. Linéaire, abstrait, et mélodiquement minimal. "Imbuvable", dans leurs propres termes.
Dool*, impliquant plusieurs membres de Devil’s Blood et qui avaient joué quelques mois auparavant au Ferrailleur de Nantes, ont délivré une prestation dantesque. Un dark rock doomesque et élégant, ponctué par une prenante reprise au ralenti du "Love Like Blood" de Killing Joke. La chanteuse Ryanne Van Dorst est peut-être devenue un chanteur d’ailleurs, on ne sait pas trop. Quant au guitariste Nick Polak, il porte un t-shirt Fields Of The Nephilim, ce qui en fait forcément quelqu’un de bien.
Fever333* s’est démonté le dos sur la Mainstage, a démonté sa batterie et grimpé le long des écrans. Un show spectaculaire, une musicalité certaine mais qui, malheureusement, ne fait pas forcément rêver. Cela dit, quel don de soi ! Ils auront marqué les esprits.
Il paraît qu’Eisbrecher aussi a été professionnel et distrayant. Nous le croyons volontiers. Pendant ce temps, nous étions au fond de l’Altar aux fins d’assister au show de Punish Yourself*. Le groupe de VX Cheerleader (augmenté de plusieurs performers) sait toujours tenir sa scène, et il l’a fait devant un monde fou. Incluait scènes de débauche et chien-chien à sa maman.
Carach Angren a, paraît-il, surpris pas mal de monde. Malheureusement, nous n’y étions pas.

Moonspell*, pour sa part, tient encore sa scène. Le leader Fernando Ribeiro a son charisme, mais si nous devons tout dire, nous trouvons parfois les effets du groupe un peu trop voyants. Néanmoins, les trop rares morceaux de la période Irreligious s’en tirent encore. Rien de Sin Pecado, rien d’Extinct, setlist concentrée sur le récent 1755. Difficile pour nous, au bilan, d’aimer autant nos Portugais pour ce qu’ils font aujourd’hui qu’à leur période plus directement gothique 1996-1998. Un spectacle qui se tient néanmoins, et un look Nephilim pour l’entrée de scène.
Combichrist, qui joue dans le cadre de la défense d’un nouvel album (One Fire) a pour sa part réussi à nous convaincre de deux choses au moins : primo, ses deux percussionnistes live sont irréprochables en scénographie, technicité et rigueur. Secondo : l’aggrotech metal du groupe est d’une linéarité telle que le sablier joue en défaveur de sa réception. Un manque certain de variation a pu faire ressentir la performance comme indigeste. Andy LaPlegua (chant et fondation) semblait se lasser moins que nous, il sait se mettre public en poche et nous avons pu constater qu’il avait des adeptes. Nous en prenons acte.
Within Temptation* et son metal orchestral, sur les cinq titres que nous avons pu voir, a renvoyé l’image d’un groupe très en place, professionnel et archi-catchy. En résumé : tout ce qu’ils promettent en studio. Après, il faut aimer les choses démonstratives et calibrées, et c’est affaire de goûts. Mais Sharon Den Adel a toujours cette manière d’être et ce charme qui te percent un peu le cœur ; et le job, quoi qu’on en pense, est fait.
Les vétérans ZZ Top*, sur le début de set auquel nous avons assisté, ont épaté. Il paraît que ça fait toujours ça la première fois avec eux (ce qui était notre cas), alors que les shows n’ont pas connu grande variation depuis des années et font l’objet d’une scénarisation millimétrée. Qu’importe : la respiration et la métronomie de Gibbons & co. sont totales. Un blues-rock presque immuable, et cette impression que le temps n’a pas lourde prise sur eux.
Kiss, lui, a généré un commentaire plus aléatoire. Une setlist classique et renfermant une ou deux surprises, un chant que certains suspectent de n’être pas tout à fait authentique, mais un spectacle comme toujours bien rodé. Entrée sur scène spectaculaire, etc. Ceux qui sont habitués savent.

Fin de soirée. Minuit. Le post-core culte et ambiancé de Cult Of Luna* a renoué avec le public de la Valley avec un set massif, dur et ambiancé… mais sans réelle scénographie ni mise en scène. Ils n’en avaient sans doute pas besoin. Ils en profité pour jouer leur nouveau morceau "Silent Man", annonciateur d’un nouvel album pour fin 2019.
Dans la foulée, sur la Temple, nous avons vu The Sisters Of Mercy*… ou ce qu’il en reste. Un fondateur nommé Andrew Edritch, tête de caillou au jeu de scène un brin distant et flanquée d’une armée de musiciens rénovée. Exit Chris Catalyst (2005-2019) : le brun Ben Christo reste aux guitares, secondé par un nouveau six-cordiste nommé Dylan Smith (il ne nous a pas fait rêver), et un homme-machines situé en fond de scène. Ce dernier n’est autre que Ravey Davey (Dave Creffield au civil), première nurse historique de Doctor Avalanche, autrement dit la machine à rythmes. Un producteur et ingénieur du son à ses heures, apparu à plusieurs reprises (1996, 2012) dans l’épopée scénique des Sisters.
Cette formation quatuor a monté une setlist best-of (toutes périodes d’écriture couvertes, bon point pour elle), semble-t-il en très peu de temps avant la tenue de cette première date. La setlist inclut les aimables inédits joués sur scène ces dernières années (dont les fort corrects "Crash & burn" et "We are the same Suzanne"). Le résultat ? Trop nostalgiques restons-nous de l’ère de gloire voire de la qualité des performances des années 1990, pour nous prononcer ouvertement - mais tout de même : d’abord, il aurait fallu que quelqu’un s’occupe des lumières correctement. Ensuite, ce soir et ce n’est pas la première fois, nous n’avons pas reconnu "nos" Sisters. Pour nous, leurs guitares devraient viser une élégance minimaliste, au moins sur les plus vieux morceaux. L'approche heavy et les solos (nous allions dire "bavardages") peuvent certes servir le contenu du troisième opus de 1990 Vision Thing, à l’honneur ce soir, mais sont moins appropriés à restituer l’essence de tout le fond de catalogue. Peut-être n’est-il plus question d’essence, allez savoir ? Les réarrangements des vieilleries sont loin de toutes avoir convaincu, sans parler de l’attitude des deux guitaristes, deux vieux copains a priori. Ne pas reconnaître Sisters reste néanmoins notre problème à nous, et n’est pas forcément celui de toute l’assistance. Anecdote : Dani Filth, dont le Cradle a repris "No Time to cry" en 2001, était présent backstage. Il a fait quelques petits films avec son smartphone et est parti avant la fin. L’histoire ne dit pas encore si c’est un signe.

DIMANCHE 23/06  

Rebelote, et la dernière. Un temps splendide (on s'habitue), des craintes de forte chaleur (on se débrouillera) mais le ciel devrait rester blanc. Ce sera grosso modo le cas sur une partie de la journée. En définitive, les corps souffriront moins qu'ils n'auraient pu.

Les choses démarrent fort. Insanity Alert a délivré une performance thrash à la fois sérieuse dans sa musicalité et pleine de détachement. Un groupe à suivre selon les sachants.
De leur côté, Gold* (Rotterdam) ont fait impression. Leur mélange de dark rock, shoegaze et de rythmiques black metal, mêle live effets puissants et poétiques. La chanteuse Milena Eva a habité des compositions dont les subtilités sont rendues avec soin par un line-up ayant incorporé une guitariste complémentaire, Jaka Bolič. Une musique à la hauteur, sur scène, des promesses de nuances formulées par les œuvres studio. C’est la fin de matinée et il fait bien bon.
Vomitory*, eux, ont moins fait dans le subtil : une heure durant, le groupe reformé de Karlstad a régurgité un death metal effarant de puissance, perturbé par quelques soucis techniques aux guitares. Peu importe : reste le souvenir d’un grand bruit et d’une percussion qui te met une fessée comme tu n’en as pas eu beaucoup dans ta vie.
En comparaison, le set de Stone Temple Pilots*, sur la Mainstage 1, sonne pépère. Le chanteur embauché pour le dernier et très correct album éponyme de 2018, Jeff Gutt (de Dry Cell, repéré par le TV show XFactor), singe un peu trop feu Scott Weiland, et la setlist a fait la part belle à des titres manquant de nerf. Dommage, mais pas de quoi nuire à l'ambiance. Sous les murs d'eau, les gens se baignent.

Pas tout à fait le monde de fous espéré pour le projet Vltimas, créé par Blasphemer (Mayhem) et David Vincent (Morbid Angel). Ils ont dû être déçus mais difficile de dire que la musicalité n’y était pas. Quant à l’approche scénographique, là, chacun ses goûts.
Lynyrd Skynyrd, ou disons le groupe familial porteur de la marque, l’a défendue vaillamment sur les quelques titres du début de show auquel nous avons assisté sur la Mainstage 1. Ça n’y allait pas pépère, et ça texanait tout ce que ça pouvait. Une musique éternelle, qu’elle soit jouée par n’importe qui tant que ce sont des personnes habilitées et, surtout, habiles.
Phil Anselmo a pour sa part chaviré son monde. Set spécial… Pantera (!), oui, avec  plus d’une moitié de show dédiée au groupe thrash/heavy culte. Les adeptes en parlent encore et en pleurent de bonheur. Ils attendaient ça depuis… pfiou.
Les Norvégiens cultes Emperor* ont su plus tard redonner vie à l’album culte aussi, et très fouillé, Anthems To The Welkin At Dusk. Et ils s’y sont plus que bien pris : bon son, performance ultra-technique (Trym, à la batterie, a impressionné). C’était soigneux et crédible.
Les Suisses tout aussi cultes The Young Gods* (qui pour le meilleur ont réintégré le membre d’origine Cesare Pizzi en 2012) ont sans doute délivré l’une des performances les plus fortes et envoûtantes du Hellfest 2019. Un son cosmique, une setlist faisant la part belle aux guitares, au psychédélisme, et capable de réinvention (version d’ "Envoyé" magistrale). Un fond de catalogue respecté, et un nouvel album qui sonne plus que bien sur scène. Public conquis.


Sur la Warzone, au fond du site, The Refused* a ensuite tout balayé sur son passage avec son punk rock noise abrasif. Sacrée fin de festival : une performance éblouissante, et une tonalité politique forte. Anticapitalisme au programme. On est d’accord ou pas – mais difficile en l’occurrence de dissocier la musique de l’acte politique. Et alors, qu’est-ce que ça envoie…

Slayer*, habitués de l’étape, venaient dire au revoir. C’est la fin, et ce Slayer-là devait être vu. Une série de classiques. Le groupe thrash américain n’a pas été mordant à ce point au Hellfest depuis bien des années, et Tom Araya semble fort ému au moment de l’adieu. S’adressant au public en toute fin de set (une série de classiques), il s’arrête, le regard légèrement embué, laissant le feu d’artifice parler pour lui. Son regard parcourt la foule, de longues secondes. Quelque chose se termine. C’était un jour symbolique, et surtout un jour avec : Gary Holt impérieux et Paul Bostaph frappeur comme jamais. Et puis Kerry King qui soulève sa guitare en signe de gloire, c’est un signe peu courant chez le personnage et qui ne trompe pas sur la force du ressenti.
Tool, enfin, clôture le festival. Ils étaient attendus. Grand son pour ceux qui se trouvent face à la scène, setlist ouverte et scénographie au point. Maynard a quelques loupés mais pour l’essentiel, l’inclassable groupe américain fait plus que tenir son rang. Vidéos superbes, rythmique incroyable. C'est technique, senti, flippant. Ça ne sentait pas le retour au rabais, le culte va se poursuivre. Vivement le nouvel album, et vivement le Hellfest 2020.