Beth Gibbons, le tropisme de l’émotion
Onze ans que l’iconique chanteuse de Portishead avait quasi disparu des radars. En 2019, elle signe un retour des plus inattendus, un comeback lyrique en forme de prise de risque, en interprétant dans la langue originelle, la 3ème symphonie d’Henryk Górecki dite Symphonie Des Chants Plaintifs. Sous la direction de Krzysztof Penderecki et accompagnée de l’Orchestre National de la Radio Polonaise, Beth Gibbons offre à cette dramaturgie une fragilité et une puissance émotionnelle toute personnelle.
Pari audacieux que s’approprier ce monument qu’est la 3ème Symphonie du compositeur polonais Henryk Górecki. Composée il y a plus de quarante ans pour être portée par une soprano, l’œuvre s’était dès lors démarquée du canon classique par un dépouillement cérémonial et une structure peu commune constituée de 3 mouvements lents. Plaintive mais aussi lumineuse à bien des égards, la 3ème Symphonie a pour thème principal l’amour endeuillé d’une mère pour son fils.
Entre lamentation et prière, le décorum est posé… on sent qu’on n’est pas là pour rire.
L’immersion dans l’œuvre se fait progressive et s’effectue par le biais d’un lent prélude orchestral d’une vingtaine de minutes, divinement mené sous la baguette du Maestro Krzysztof Penderecki. Au terme d’une tension palpable, la voix de Beth Gibbons arrive à mi-parcours annoncée par une note de piano, comme un lever de rideau. S’ouvre alors un paysage subtilement sépulcral, un écrin pour la voix de la chanteuse rompue à l’expressivité de la tristesse et de la douleur. Les 2ème et 3ème mouvements vont être d’ailleurs l’occasion d’apprécier l’ampleur de sa performance vocale, notamment l’extension de la tessiture qui oscille entre tonalités graves et aigues, et module intensité et nuances. Si Beth Gibbons se met en danger avec une technique vocale fragilisée parce que parfois poussée à sa limite, il demeure qu’elle habite véritablement l’œuvre et lui donne une charge émotionnelle saisissante.
Au total, ce sont cinquante-cinq minutes d’une plongée dans une dramaturgie entre ombre et lumière qui fouille nos entrailles.
Loin du lyrisme pudique presque effacé de la soprano américaine Dawn Upshaw dont l’interprétation fait référence, la performance de Beth Gibbons sur ces Chants Plaintifs visent moins l’académisme que la puissance émotionnelle. Comparaison n’est pas raison… là ne doit pas être le propos.
Beth Gibbons – Henryk Górecki, c’est avant tout le pari réussi d’une capillarité artistique, qui consent à enrichir l’œuvre d’une nouvelle coloration pour la rendre, qui sait, un peu plus intemporelle.