Le disque de Herrschaft sonne très bien, leur musique est pensée, produite et calibrée pour tout renverser. L'impression de force et de maîtrise est quasiment suffocante. Réfléchi, l'album enchaîne les variations, titre après titre,et se hisse haut dans le metal electronifié français.
Pourtant, mon impression reste mitigée. Peut-être est-ce celle d'un vieux briscard qui réfléchit trop, mais je ne sens pas assez leur musique. Les compositions ont beau faire tourner des astuces de production, les mélodies ne me remuent pas. Alors que le duo à l'origine du groupe est honnête et s'éclate, je n'arrive pas à me défaire de l'image d'un produit trop lancé. Les visuels à la Ghost, les emprunts parfaitement intégrés aux scènes indus (Punish Yourself ou Cubanate à l'écoute de "How real Men do") et à l'histoire de ces scènes (on sent même du Y Front sur "The great Fire", ce qui est un atout dans le sensible) témoignent d'un engagement non-feint. Leur force atteint la technicité des Rise Of The Northstar (France) et autres Moscow Death Brigade (Russie : le titre "White Russians" avec le soutien de Baptiste Bertrand est-il une parodie ou une attirance involontaire vers cet univers de youth-crew ?) : le genre de groupe qui retourne un public sur un festival et qui joue la carte du holp-up et de l'adhésion totale. Herrschaft a été monté en 2004 et leur nom en dit long sur la fascination-répulsion qu'exerce sur ses membres les notions de pouvoir et d'autoritarisme légal ou non.
Leurs paroles sont intéressantes et dressent le portrait d'un projet complexe. La dénonciation d'un Satan qui gagnerait des âmes d'adolescents grâce à l'offre aux techno-addicts reste bien en-deçà du sursaut sataniste des débuts du black metal. La férocité de "But I know" critiquant l'aveuglement volontaire des conspirationnistes marque un point. Parfois, le second degré se retourne même contre eux, puisque les paroles viriles caricaturales de "How real Men do" sonnent presque comme un manifeste involontaire. Heureusement, leur clip (qui cherche et trouve le buzz) remet les pendules à l'heure avec un bel humour potache (je n'en dis pas plus). La mise en scène des rednecks haineux ("New World Order") aboutit aussi à un paradoxe : à prendre la voix de l'Autre réactionnaire, il faut tenir le rôle et réussir à parler des deux côtés à la fois. Ce que fait Shaârghot en basculant dans la mise en scène me paraît porteur d'un peu plus de folie, d'imprévu : on pense à ces autres Parisiens au démarrage du très chouette "Behind this Smokescreen", morceau qui m'a fait la meilleure impression (texte plus sensible, centré sur le ressenti avec des images fortes). Les idées se succèdent à un rythme fou : le piano de François Duguest se fait jazzy sur le final de "New World Order", l'ampleur gothico-symphonique de bonne allure de "Stray Dog", les voluptés rétro-synthétiques à la Perturbator de "Le Festin du Lion", l'hell-ektro métallisée et viciée dissonante de "The great Fire" (avec l'appui de Shaârghot, justement), l'accélération interrompue de "White Russians" et la balance dance-floor future-pop de "Hate Me" (Dany Boy et Jessy Christ aux voix) : c'est la foire et le feu d'artifices. Cet aspect trop travaillé, ces artifices trop poussés induisent une distance : où est l'âme du groupe, qu'est-ce qui le porte musicalement, qu'a-t-il de fondamentalement personnel et de dangereux ? Il manque de la mélodie, du riff qui s'imprime et sonne avec singularité, il manque encore une image de soi hors des catégories et des facilités.
Avec un tel savoir-faire technique, avec son envie d'en découdre (c'est tout de même leur troisième album dans un monde du disque bien morose), avec ses bonnes idées (et un nouveau line-up), Herrschaft a de quoi passer un cap émotionnel. Pour cela, il faut véritablement se libérer.