Double CD compilation qui sort sur le label polonais Zoharum avec un beau packaging (photos de Normotone), ce Spanish Electronic Body Music regroupe plusieurs des titres sur lesquels HIV+ aka Pedro Peñas Y Robles a posé sa personne et ses fantasmes musicaux.
Et des idées sur la musique, il en a ! En dehors des mots dont il assaille aussi bien ses amis que ses adversaires, en plus des disques que son label Unknown Pleasures Records n'en finit plus de livrer aux fans réjouis (et ce en dépit des annonces intempestives de morts annoncées du label – on connaît le bonhomme et son enthousiasme inépuisable), Pedro a aussi une culture large, des envies diverses et il sait donner corps à ce besoin de faire.
L'idée de la compilation est bonne : ne pas être dans un disque de plus signé HIV+ (le dernier était consacré avec justesse à Antonin Artaud), mais regrouper une sélection des collaborations et prouver cette hétérogénéité. On a une poignée de reprises de "standards" que les plus jeunes doivent découvrir et que les plus âgés auront plaisir à entendre (la reprise, un exercice difficile, souvent réussi par Pedro et ses comparses, et que son label met en avant avec ses différents Honoris consacrés à des pointures). "Warm Leatherette", "Los Niños del Parque", le méconnu "Coco Pino", "Der Mussolini" (pas la meilleure des reprises faites avec Adan & Ilse, je lui préfère le "Giorgio by Moroder" que le groupe avait sorti dans l'EP Covers), et même un hommage au "Cold Song" de Klaus Nomi (sur l'équitant remix de "Gente moderna" où Pedro chante avec sa voix de tête) entrent ainsi dans le XXIème siècle sans perdre de leur mordant.
C'est ensuite la série des collaborations qui impressionne : plus qu'un carnet d'adresses bien fourni au fil du temps, on lit une attitude face à la musique et des affinités : The Hacker, chantre d'un mix entre cultures gothiques finissantes et résurgences électroniques, Dave Inox, Millimetric, Mr Nô, Chris Shape, Blind Delon, Maman Küsters, Alek Drive, Radikal Kuss : les liens mis en avant témoignent d'une volonté de ne rien louper, d'être là où ça se passe ; les générations de musiciens se suivent ; la scène se renouvelle et entretient le passé. C'est une attitude vivifiante et porteuse de sens.
Enfin, une troisième série tient aux projets plus personnels qui ont pris des mois de travail continu. C'est l'association avec Ushersan, soit en formule duo, soit en trio avec ce Adan & Ilse prolifique (Ushersan, Peter Rainman et Pedro) dont on retrouve pas moins de quatorze créations sur cette double compilation.
Mais, et là est aussi l'intérêt, le matériel fourni au label polonais (qui héberge entre autres Rapoon, Pacific 231, Troum, Z'EV), contient pas mal de remix, de versions rares ou inédites. Là encore, c'est la valse des noms. Radical G, Dave Inox, Marc Hurtado, Cruise [Crtl], Absolute Body Control... En dehors du name-dropping, intéressant, on s'attache à ces musiques : le noir domine, mais il se combine avec l'attrait du dancefloor, une activité bien connue de Pedro. La succession Blind Delon / Oliver est une claque nocturne d'une belle intensité. Je vibre aussi sous les coups de boutoir en voix féminine et masculine de "Mujer ùnica" et la variation autour d'un "P.A.R.I.S." de Daniel Darc à l'œuvre sur le noir "Ça Suffit !" avec Radical Kuss. Les expérimentations se taillent une belle place, rappelant les heures de Throbbing Gristle ("Fermeture 2023" a des saveurs de "Hamburger Lady") et tabassant à qui mieux mieux (le fédérateur "Mas y mas" signé avec Adriano Canzian). Les voix sont en espagnol, langue maternelle de Pedro, et ça sonne bien, rappelons-le : "Miss Conceptua" de Dave Inox et HIV+ remixé par Raul Parra inonde les pistes de danse de sa douce férocité. Un peu de français, quand même, car Maman Küsters ne peut s'empêcher de placer sa drôle de voix grave et désabusée sur le remix de "Nuevo Siglo" et que "L'Opium du Pauvre" se fait diatribe de la haine ordinaire (meilleure composition que "Superstar", trop facile). On trouve également de l'allemand sur le terrible "Lubeck" mené avec Alex Drive.
Double CD, car ce sont trente titres (dont un bonus digital) qui sont ainsi assemblés. Oui, c'est vraiment beaucoup. Mais pas besoin de tout écouter à la suite, d'une traite, sauf à mettre ça en bruit de fond – ce qui serait manquer de tact et de capacité à entendre. Mieux vaut privilégier des paquets de quatre-cinq titres, ce qui permettra aussi de séparer les quatre versions du titre "Adrenalina" (ma préférence va à celle remixée par People Theatre, le bonus digital précité) et les trois de "Gente moderna" ou de "Nuevo Siglo". Prêts pour une claque et du plaisir ?