C'est un album plaisir auquel nous convie Pedro. L'arrêt des activités de son label n'a été que de courte durée, celui-ci étant réanimé pour des projets forts, qui lui tiennent à cœur. Ici, Pedro sous l'identité d'HIV+, se frotte à la figure d'Antonin Artaud.
HIV+ avait bénéficié ces derniers mois d'une réédition digitale sur le label, permettant de (re)découvrir la foisonnement de ce projet bruitiste et technophile. Pour rendre hommage à Artaud, homme maudit, poète incompris, artiste et penseur décalé, HIV+ invite les amis. C'est une constante chez ce musicien qui apprécie les collaborations et la mise en contact. Le travail est sérieux, dès les premières mesures d' "Amour" avec Marc Hurtado (Étants Donnés). Ce n'est pas un disque pour affadir ou populariser Artaud. Les artistes invités ne sont pas des vulgarisateurs. Si cette figure les a inspirés, c'est pour son audace et sa singularité.
Les voix qui donnent épaisseur aux textes déclament à la manière des chamanes, les multiples effets employés creusent un écart entre l'homme, son corps, son entité charnelle, et le souffle de l'inspiration, venant d'un au-delà des plaines humaines, jouant des hauteurs célestes ou des profondeurs infernales. La musique prend souvent le dessus, transposant ce que disent les textes en un état réflexif ou halluciné. On peut y entendre une bande-son accompagnant une lecture (à l'instar des productions du label-éditeur lenka lente et de son édition de Ci-gît, avec Nurse With Wound), mais la présence des textes et voix amorce là encore autre chose...
Ce ne sont pas des textes mis en musique, ni un environnement sonore.
C'est du côté de Phil Von que l'irradiation prend effet : la musique souligne syllabe à syllabe, mot à mot, énoncé par énoncé, cette jouissance d'une extase, sans frein aucun. Les voix se superposent, la musique s'amplifie et se relâche petit à petit, dans un poème chanté orgasmique. Il se passe quelque chose de plus fort, c'est une œuvre qui semble née ainsi.
Avec "L'Amour sans Trêve", c'est un voyage bien plus court qui est mené : les voix triplées en échos font peur ; l'invocation par slogans transperce. Un brusque final surgit, étonnant. "Médecine" fait en partie bande à part, ressuscitant des sonorités années 1980, apportant une touche humoristique et décalée ; laquelle fait pont avec le travail rendu par Hubaut et Botté. Artaud est l'un des poumons des Tétines Noires. Les retrouver associés est une délivrance. Sur cet "Ombilic", la voix d'Emmanuel est semblable aux origines. Entre les deux, "Limbes" ouvre une parenthèse ambient noisy, un interlude voulu comme tel. Alice se fait son plaisir de nappes saturées sur "Artaud le Momo" et "Pulsations", dans la lignée de ses performances et de son album sorti chez UPR. L'album se referme alors sur ce qui a été la rencontre de deux personnalités via le label. La boucle est bouclée.
À chaque fois que le monde du "rock" se saisit d'Artaud (Bauhaus, Anthon Shield, Les Tétines Noires, lenka lente...), le résultat est conforme à une vision et un manifeste. Ici aussi, le rock (au sens large, évidemment !) y retrouve son irrévérence (le lancement de "Pour en finir avec le Jugement de Dieu", la voix d'Artaud...), il séduit (envoûte quand on écoute la prestation HIV+ - Barkosina) et il fait lien philosophique et littéraire.
Theatre Of Cruelty, album tribute, crée un ailleurs musical, un lieu et une forme hors des modes. Une version cassette (en plus du CD, du digital et du vinyle) sort chez les Espagnols d'Industrial Complexx : que dire si ce n'est que ce format accrochera particulièrement ?
