La série de compilations Honoris lancée sous l’égide d’Unknown Pleasures Records a périodiquement rendu hommage à ces acteurs considérés par le label comme phares au sein des mouvances musicales sombres. Après Death In June, Bauhaus et The Sisters Of Mercy / The Sisterhood, UPR ouvre aujourd’hui un quatrième chapitre consacré au Christian Death originel : celui de feu Rozz Williams, chanteur ayant créé et mené la troupe américaine le temps de trois albums séminaux. Au premier Only Theatre Of Pain (1982) avec le line-up "classique" (Rikk Agnew & friends), ont succédé deux disques plus théâtraux et moins épais, moins baveux en guitares, plus "méticuleux" et arty, composés avec (le futur frontman) Valor Kand : Catastrophe Ballet (1984) et Ashes (1985).
Rozz revint plus tard avec "son" Christian Death, en concurrence d’un Kand ayant installé la marque et fondé sa Christian Death Society. Rozz reprit le flambeau pour (principalement) deux nouveaux albums studio plus que réussis : The Path Of Sorrows et The Rage Of Angels. C’était sur la première moitié des années 1990, époque à laquelle son Christian Death à lui, en line-up quasi-originel, sortit en outre un live dantesque, Iconologia (1993). Cet enregistrement démarrait par l’oppressant instrumental "Excommunicamus", composé par Casey, bassiste de ce Christian Death "de la renaissance". Une esthétique de la perdition des âmes qu’il reste troublant de réécouter aujourd’hui, avant la déflagration death rock de "Cavity first Communion". Idée intéressante, donc, que celle de commencer Honoris IV par une réfection d’"Excommunicamus", concoctée en l’occurrence par HIV+ (projet electro du directeur du label, Pedro Peñas Robles). Il en délivre une version replastifiée, mais où renaît une partie du dérangement de la version première. Les textures puisent dans l’original (fragments religieux, voix sorties du néant) mais HIV+ fait le choix d’incruster une rythmique hypnotique, laquelle extrait "Excommunicamus" de sa radicalité ambiante et "filmique".
La suite intéresse à plus d’un titre, mais diversement. C’est un Christian Death réinventé que matérialise Honoris IV – et la première protagoniste, après HIV+, à s’engouffrer dans la brèche est Judith Juillerat, au gré de son "Stairs (Uncertain Journey)" à elle. Le clin d’œil à Lucifer est réinventé de façon minimale, synthétique. Juillerat : voix dans le souffle, pulsation retenue. Vous reconnaîtrez les échos orientaux des tournures, mais la chanson est transfigurée. Cette optique, radicale, est adoptée sur une bonne partie de la compilation : privilégiant souvent une approche synthétique et machiniste, Honoris IV n’essaie que peu de reproduire l’acidité des guitares des origines, ou leurs rythmiques premières, à l’énergie punk. Ce qui en esprit reste ici du Christian Death originel, c’est d’abord le mystère intérieur des mélodies, leur mystique. La "désincarnation" de la voix est plus difficile à approcher dans la forme. Rozz demeure inimitable, et pas grand-monde n’essaie.
Au bilan, les fruits présentés sur Honoris IV sont hétérogènes et seront diversement reçus, c’est certain. Nos versions préférées restent celles de Years Of Denial ("Cervix Couch", cinématographie aux relents funèbres), Der Himmel ("In this Glass House", une certaine grâce se retrouve) ou le "Blue Hour" de Closed Mouth, dont la colorimétrie et l’atmosphère avoisinent l’original sans le décalquer.
Un choix est un choix, et peu de groupes, nous l'avons dit, reviennent vraiment ici aux formes typiquement organiques du Christian Death des racines. Mais lorsque ce retour se produit, survient le frisson : SFD & Diamond Dogs le provoquent avec leur "Romeo’s Distress", que nous gardons près du cœur. Il y a une flamme et à ce moment précis, nous "sentons" davantage Rozz – jusque dans les voix, crédibles. Plaisir simple, éprouvé dans cette proximité du son originel. (On ne se refait pas.) D’autres musicalités, sensibles à la cause organique, se défendent : celle de Baron Fantôme en est, mais un supplément de percussion dans le placement vocal aurait créé l’épice faisant basculer son "Skeleton Kiss" dans le champ de la réussite totale. Même affection pour la version du classique "Figurative Theatre" de Dreamscape Invocation : elle intéresse, à ceci près que la gravité de l’approche au chant, en soi défendable, aplatit les angles de l’optique originelle. Petit regret mais là encore, les mérites d’une radicalité, une honnêteté.
Une réputation se construit. Le plaisir d’écoute ne se dément pas au fil des compilations Honoris, et notamment pour ce qu’elles continuent d’offrir sur le fond : pas de simples hommages, des collections d’intentions. Révérer n’est pas répéter.