En 2015, le musicien new-yorkais Rene J. Nunez-Cabrera démarrait une trilogie pour le label Wharf Cat Records avec le disque El Espejo Y El Mar. Cet album fut suivi en 2017 par Mysogyny Stone et se clôt aujourd'hui avec Carne, un terme qui renvoie à la chair mais aussi aux racines et le compositeur avoue qu'il a voulu rendre hommage ici aux maîtres de la musique électro-acoustique cubaine comme Cachao et Juan Blanco. Cette exploration de ses origines passe aussi par la langue espagnole, que ce soit sous forme de chuchotements ("QUANDO TU") ou spoken words ("Descarga #1"), de comptines a capella ("Corazón") ou d'un travail assez féérique sur les voix féminines ("Besa el anillo con todo tu alma").
Cette recherche, volontiers autobiographique, s'éloigne néanmoins de toute nostalgie et ne rend pas l'œuvre de l'artiste moins abstraite. Sa méthode emprunte beaucoup à l'électroacoustique avec l'utilisation de nombre d'effets, de bandes magnétiques et de synthétiseurs analogiques, accompagnés par des intervenants comme Eisner Nino et Cesar Toribio aux percussions, Dory Bello à la voix, Mickey D. Grand, IV, au saxophone et – excusez du peu – Drew McDowall (ex-Coil) au vibraphone. On sent d'ailleurs indéniablement la patte de celuici sur "QUANDO TU" et son atmosphère occulte, plus rituelle. L'ensemble relève de cette veine ambient/industrielle, avec un sens des ambiances mystérieuses, mélancoliques et apaisées. Nunez-Cabrera avoue avoir beaucoup écouté Kali Malone, Felicia Atkinson et Russell Haswell pendant l'enregistrement et la création de l'album. Leurs univers poétiques et recherchés n'ont pas dû le laisser insensible.
En dehors de la voix assez présente et des percussions traditionnelles et tamtams ("Cintura", "Descarga #1"), l'électronique domine avec un aspect cinématographique qui pourrait provenir d'une B.O. de David Lynch en un peu plus noise ("Labios de cobre pintado de blanco"). Le dernier titre, "Maraca llena de piedras de tu nacimento", surprend surtout avec son sax free et son violon, les instruments acoustiques se transforment peu en peu en complainte sur un canevas de nappe statique et de voix saturée. L'ensemble se drape d'étrangeté, ce qui en fait un album assez impalpable, pas moins intéressant pour autant.