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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
26/05/2021

Horror Porn

La Fesse Cachée du Cinéma d'Exploitation

Genre : étude / visite d'un genre souterrain
Posté par : Mäx Lachaud

Au tournant des années 1960, 1970, un étrange genre de cinéma d'exploitation a cherché à mêler l'horreur la plus glauque avec la pornographie la plus frontale. L'ancien rédacteur en chef de Mad Movies, à l'origine de la série des B-Movie Posters, Damien Granger, nous prépare pour la fin d'année un livre qui retracera l'histoire de ces films trash et sans limites. Pour un ouvrage aussi illustré, il ne fallait aucune censure. Le livre sera ainsi vendu uniquement par correspondance. Avant-goût de cet artbook grindhouse illustré qui s'annonce des plus fou. La sortie est prévue début juin.

Obsküre : D'abord, quelle est ta définition du cinéma d'exploitation ?
Damien Granger : Il s’agit avant tout de films de Série B qui étaient généralement tournés à la va-vite, avec de maigres budgets, pour exploiter le succès d’un autre film, qui venait de sortir, ou qui était sur le point d’être distribué, et pouvoir ainsi profiter de leur promotion. Des films qui répondent donc avant tout à des impératifs commerciaux et économiques, et en aucun cas à des ambitions artistiques. Dans un même temps, les films d’exploitation se caractérisent par une approche très complaisante de certains sujets tabous, que le cinéma traditionnel s’interdisait d’aborder, ou alors avec beaucoup de pudeur, notamment le sexe et la violence, mais aussi la drogue, ou encore le viol et la torture.

Quand ont eu lieu les premiers essais cinématographiques de mélange d'horreur et de pornographie? Où peut-on en tracer les origines ?
Le genre est né à la toute fin des années 1960, lorsque certains producteurs et auteurs, influencés par le courant de la Sexploitation et par les productions Harry Novak et David Friedman, décident d’associer l’érotisme d’un Russ Meyer à la violence graphique d’un Herschell Gordon Lewis. C’est ainsi qu’on voit fleurir des films tels que Thrill Deviates, Terror At Orgy Castle, les productions Barry Mahon, notamment Some Like It Violent, avec son proxénète qui intimide des call-girls à coups de machette, ou celles des studios Mitam telles que The Sadistic Lover, Slaves Of The Sin-dicate ou encore Satan’s Mistress. Des films ouvertement machistes et misogynes, où les femmes sont avant tout des objets sexuels traités avec violence. Un nouveau courant qui finira même par supplanter et faire disparaître la Sexploitation, trop soft aux yeux des spectateurs.

Peut-on parler véritablement d'un genre horror porn ou hard-gore, avec un public spécialement dédié à ça ? Comment sont diffusés les films ?
Il s’agit avant tout d’un véritable courant qui s’est imposé dans les années 1970, d’abord au travers de ce qu’on appelait les Storefront Theatre, des petites boutiques transformées en salles de projection, en quelque sorte les premiers peepshows, qui évolueront par la suite en cinémas "Grindhouse", l’équivalent de nos salles de quartier. Les films y étaient projetés le temps d’une journée, parfois sans générique ni même banc-titre. Du pur divertissement pour un public quelque peu pervers, au milieu duquel se trouvaient une poignée de cinéphiles comme Frank Henenlotter, futur réalisateur de Basket Case et Frankenhooker, le premier à avoir exhumé certains pornos horrifiques en créant une collection avec le label Something Weird Video. Même si on a réussi à retrouver nombre de ces films, certains avec des tueurs masqués, d’autres avec des vampires, souvent avec des cultes sataniques, il semblerait que beaucoup d’entre eux soient néanmoins définitivement perdus. Il n’y avait aucune considération à l’époque pour ces films, ni par ceux qui les faisaient, ni par ceux qui les distribuaient. C’était avant tout des purs produits de consommation périssables.

Tu as fait le choix d'étendre le sujet aux sex shockers, des films crapoteux et trash qui ne tombent pas pour autant dans des actes sexuels non simulés. Peux-tu revenir sur ce sous-genre et en quoi il se rapproche du hard-gore ?
Il s’agit de films assez radicaux où la sexualité et la violence sont intimement liées, et auxquels il ne manque que les scènes de pénétration pour être de véritables pornos. Des "Softcore" néanmoins plus sulfureux que de simples films de Sexploitation et autres thrillers érotiques, où sexe et déviance sont au centre de l’histoire, exploités avec excès et complaisance, comme dans Exposé avec Udo Kier et Linda Hayden, The Jekyll And Hyde Portfolio, l’infâme The Beast In Heat de Luigi Batzella ou encore le brésilien The Reincarnation Of Sex, dans lequel une femme meurt empalée en pratiquant une fellation sur un gode ceinture.

Comment expliques-tu que tant de réalisateurs des années 1970, 1980 se soient baladés entre les deux genres? J’aurais envie de prendre l’exemple de Roger Watkins. On connaît le classique Last House on Dead End Street mais beaucoup moins le reste de sa carrière.
Il y en a pas mal en effet. On connaît Roger Watkins pour The Last House On Dead End Street, mais beaucoup moins pour Corruption et Her Name Was Lisa. On peut aussi citer Armand Weston, que les amateurs de films d’horreur connaissent pour Retour Vers Le Cauchemar (The Nesting) mais qui avait préalablement réalisé The Defiance Of Good, un des classiques du genre, ou encore The Taking Of Christina et Blue Voodoo. Un des meilleurs exemples étant Roberta Findlay, connue en France pour ses films d’horreur Blood Sisters, Game Of Survival et The Oracle, mais très peu pour A Woman’s Torment ou Take Me Naked, pour sa carrière dans la Sexploitation et le porno avec son mari Michael. Et il y en a tellement d’autres : Ray Dennis Steckler, Andy Milligan, Robert Vincent O’Neil… C’est également le but du livre, ce qui m’intéressait en abordant le sujet, souligner ce parallèle. Montrer que la frontière entre les deux genres est très fine, voire quasi inexistante. Quoiqu’il arrive, il s’agit de films d’exploitation bricolés par des artisans du genre en fonction de la demande du marché. Les fans de films d’horreur traditionnels ne seront pas dépaysés, nombre de noms leur seront familiers.

La pornographie est supposée éveiller le désir alors que l’horreur éveille l’effroi. Que ressent-on au visionnage de ces films ?
Avant tout de l’amusement. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, à l’exception de quelques métrages plus radicaux et sexistes que d’autres, comme ceux de Shaun Costello, les productions orientées SM de Phil Prince et des studios Avon, parfois plus angoissantes que certains films d’horreur traditionnels, ou ceux de Zebedy Colt, cet artiste gay accompli et haut en couleur, il s’agit principalement de films assez inoffensifs, souvent funky et psychédéliques, qui semblent parfois avoir été improvisés par des équipes qui n’avaient aucune notion en cinéma, comme Robot Love Slaves ou Come Deadly, qui se veut un hommage au giallo avec son tueur qui ressemble à une version fauchée de celui de Six Femmes Pour L’Assassin de Mario Bava. L’intérêt cinéphilique est bien plus stimulé qu’une quelconque libido.

Ce sont deux genres qui ont élu pour terre de prédilection les États-Unis et l'Italie. D’autres pays se sont-ils illustrés dans le genre ? Par exemple, le suédois Breaking Point apparaît, au même titre que les films de Shaun Costello, comme un classique.
Il y en a eu un peu partout, en Grèce, en Hollande, en Allemagne, dans les pays de l’est… En tout cas dans les pays où les lois le permettent et où la pornographie n’est pas tout simplement interdite, comme en Indonésie. En France également, même s’ils ne sont pas légion, l’horreur ne faisant pas partie intégrante de notre culture. On peut citer Walerian Borowczyk, même s’il a une approche très personnelle et artistique du genre, Joe De Palmer avec La Secte Du Vice et Le Cauchemar De Manuella, ou encore certains Michel Ricaud comme Sexandroïde et Délit De Séduction. Même si les États-Unis détiennent comme souvent le monopole, le suédois Bo Arne Vibenius s’est distingué avec Thriller et Breaking Point, un film sans concession, un des chefs-d’œuvre du genre au même titre que Forced Entry et Water Power du sous-estimé Shaun Costello, deux films trash aux qualités cinématographiques indéniables. D’ailleurs, je fais partie de ceux qui sont convaincus que Forced Entry a inspiré Taxi Driver à Martin Scorsese, même si ce dernier s’en défend.

Quant au travail sur le livre lui-même, comment as-tu effectué les recherches, notamment pour le matériau iconographique ? As-tu pu interviewer des personnes qui t’ont livré des anecdotes ?
J’ai fait beaucoup de recherches, principalement dans des livres, des guides, et surtout des fanzines comme Metasex ou Cinema Sewer, pour glaner un maximum d’infos, parfois une seule dans tout un livre, qu’il faut ensuite aller recouper avec d’autres sources. Il m’est même arrivé d’enquêter plus de deux mois sur un seul film, pour me rendre compte qu’il n’existait en fait pas, qu’il avait été fantasmé par le journaliste qui en parlait. J’ai également interviewé plusieurs réalisateurs, qui ont apporté précisions et anecdotes sur leur travail. Pour les documents visuels, certains proviennent de ma collection personnelle, d’autres m’ont été fournis par les éditeurs qui ont sorti les films en DVD, la plupart du temps des captures, car il existe très peu de matériel promotionnel officiel d’époque. J’ai également fait des captures moi-même, de manière à pouvoir découper certaines scènes, pour que le livre ressemble à un Scrapbook Grindhouse avec une petite touche pop art à l’image de la couverture.

Y a-t-il eu une évolution singulière du genre ?
Le genre a énormément évolué depuis ses débuts dans les années 1970. Une évolution qui va d’ailleurs de pair avec celle de la société où la violence s’est décomplexée pour ne pas dire banalisée. Le parallèle est également vrai avec les dessins animés. Ceux que regardent nos enfants aujourd’hui sont beaucoup plus violents que ceux qu’on pouvait voir dans les années 1970. On est donc passé du Horror Porn Grindhouse à des films beaucoup plus parodiques dans les années 1980 et 1990, avant tout à cause de lois assez restrictives dans certains pays, pour revenir à une approche beaucoup plus brutale du genre dans les années 2000.