Horskh - néologisme en forme d’onomatopée, censé traduire le style musical dans lequel officie le combo originaire de Besançon - produit une musique à la croisée de l’EBM, de l’indus et du metal. Actif depuis 2014, les Francs-Comtois enchaînent les albums de très bonne facture et des prestations scéniques remarquées qui les amèneront à côtoyer Ministry, Carpenter Brut, SIERRA ou Perturbator. Leur venue au Novomax de Quimper grâce à Lazarus Production était, pour nous, l’occasion de faire le point sur leur dernier album en date, Body, et sur cette première décennie d’existence...
Obsküre : Un an après la sortie de Body, quel bilan tirez-vous de ce dernier opus ?
Bastien : Nous sommes plutôt contents, les retours sont excellents… Ce fut vraiment une bonne année avec plus de trente-cinq dates qui ont permis de défendre cet album… Horskh est pas mal suivi en France, d’autant que notre attachée de presse est française, mais notre musique traverse aussi les frontières via les plateformes de streaming, notamment aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Allemagne, pour ne citer que les principaux...
Depuis la sortie de Gate en 2017, comment avez-vous fait évoluer le projet ? Il semblerait que le son se soit à la fois durci et obscurci… Autrement dit, le confinement, les conflits d’ordre géopolitique, la morosité ambiante et le contexte socio-politique délétère ont-ils eu une influence sur votre son ?
Bastien : Je ne saurais le dire mais, effectivement, notre son a évolué vers une musique moins électronique. Cette évolution correspond aussi à l’arrivée de Jordan dans le groupe.
Jordan : Je suis arrivé en 2018, soit un an après la sortie du premier album…
Bastien : Nous avons eu alors le désir d’assumer davantage nos influences metal et grunge, qui n’étaient pas forcément présentes dans Gate, même si elles ont, d’une manière ou d’une autre, toujours été là. Il s’agissait donc pour Body de sortir des accointances indus et electro…
Briou : … de mener le projet vers quelque chose de plus organique avec davantage de guitare…
Bastien : … et de travailler davantage la dimension mélodique.
Après quelques écoutes de Body, on se rend vite compte que cet album a constitué sur le plan de la composition un véritable laboratoire expérimental : on s’en rend compte dans le soin que vous apportez à certains détails mais aussi sur le plan mélodique… Bastien, ta manière d’aborder le chant a semble-t-il évolué depuis Wire…
Bastien : C’est une évidence et c’est d’ailleurs un point qui va continuer à se développer par la suite… L’idée est d’amener de la variété en explorant davantage l’aspect mélodique du projet, tout en y apportant encore plus de violence et de dynamique.
Jordan : La nouvelle approche du chant passe aussi par l’utilisation de vocoder et de l’autotune.
Bastien : Il y avait en fait certaines choses relatives à ma voix que je n’aimais pas faire parce que je ne trouvais pas le rendu satisfaisant et l’utilisation de l’autotune m’a permis une nouvelle approche tout en donnant une dimension très actuelle à notre musique. On trouvait aussi intéressant d’assumer cela et de se dire qu’on pouvait aussi aller contre les idées reçues d’une partie du public indus qui n’adhérait pas à cet outil… C’est clairement un moyen d’affirmer notre ouverture d’esprit...
Body est un album relativement court avec des titres qui s’enchaînent sans répit… D’où vient ce sentiment d’urgence qui émane de cet album ?
Jordan : Cela provient avant tout d’une volonté d’efficacité.
Bastien : Nous apprécions tous les musiques qui "tabassent" et s’expriment dans la concision… Il ne faut pas qu’on ait le temps de s’ennuyer… On peut imaginer plein de choses relatives à nos personnalités propres mais le facteur premier demeure cette volonté d’en mettre plein la vue et les oreilles, et de ne surtout pas saouler les gens sur la longueur, de ne pas les lâcher.
Jordan : Il y a des groupes qui parviennent à mettre en place les choses petit à petit, mais cela ne fait clairement pas partie de notre ADN...
Quelles sont justement les thématiques abordées dans l’album ?
Bastien : Pour Body, les thématiques sont multiples et s’inscrivent dans la continuité de Wire et de Dawn… "Dawn", l’aube, représentait les débuts du groupe ; Gate, la porte, c’est le symbole de l’ouverture vers autre chose ; Wire, le fil, développe l’idée de connexion : nous commencions alors à monter notre label, à étendre notre réseau ; quant à Body, le corps, c’est l’incarnation charnelle du groupe qui existe et commence à s’imposer dans le milieu… Et puis, naturellement, c’est un nom qui renvoie immédiatement au délire EBM.
C’est surtout un titre qui génère forcément son lot de fantasme et d’attrait…
Bastien : Oui, bien sûr… mais il est surtout lié à la danse et c’est ce qui justifie notre souci d’efficacité.
Jordan : Le côté "dancefloor" est capital. Il faut que les gens, à travers leur corps, se lâchent autant que nous sur scène.
Bastien : Chaque morceau de l’album est lié à cette idée corporelle mais chacun a aussi son identité propre. "Interface" développe, par exemple, un délire un peu S.F. où le narrateur est une intelligence artificielle qui parle à l’auditeur en essayant de le rassurer sournoisement… Le titre met en avant le fait que nous soyons constamment sollicités par des notifications et des interfaces numériques
Briou : "Body Building" traite, quant à elle, de la transformation du corps via l’exercice physique… On parle toujours du corps mais sous un prisme à chaque fois nouveau.
Un titre comme "Do It" me semble symptomatique d’une manière de faire qui alterne des temps vaporeux quasiment "ambient" et des refrains beaucoup plus appuyés… Est-ce une simple vue de l’esprit ?
Bastien : Non, c’est vrai qu’il y a pas mal de morceaux qui présentent ce schéma particulier, sans doute dû au fait que Nirvana est un groupe qui nous a beaucoup influencés et proposait une approche similaire.
Briou : C’est aussi l’un des premiers titres que l’on ait composés sur la route comme un vrai groupe de rock.
Jordan : Un autre groupe qui, de ce point de vue, a eu une véritable incidence, c’est Killing Joke.
Y a-t-il un sens particulier derrière le locked-groove qui vient clôturer la seconde face de l’édition vinyle de Body ?
Bastien : Je suis étonné car tu es la première personne qui nous en parle… Nous l’ignorions nous-mêmes… si bien que, pour répondre à ta question, ce n’était pas voulu, il n’y avait aucune intention particulière de notre part. Mais si c’est vraiment le cas, s’il y a effectivement un locked-groove, c’est une information pour le moins intéressante…
Quand on écoute vos albums, on est saisi par la complexité des structures et le souci du détail… Comment abordez-vous le processus de création ? On a le sentiment peut-être erroné que les chansons demeurent le fruit d’un travail de studio ou home-studio acharné plutôt que d’une émanation collective lors de répétitions ou de sessions live…
Bastien : La plupart du temps, les morceaux naissent effectivement d’un processus MAO (Musique Assistée par Ordinateur) ; je suis seul sur mon ordinateur, les idées naissent et on en discute collectivement. Mais d’autres morceaux comme "Do it" ont été immédiatement travaillés ensemble en répétition.
Jordan : Quand Bastien nous soumet les morceaux, ils sont déjà bien avancés et nous y apportons nos propres idées qui vont les faire évoluer. Les futurs titres que nous composons adoptent davantage cette manière collective d’aborder le travail de création.
On ne peut décemment pas parler de vos albums sans aborder l’artwork qui interpelle par son rendu absolument unique et le recours à une thématique quelque peu proche du BDSM en ce qui concerne Body… Dans quelle mesure diriez-vous que cet artwork fait écho à la musique de Horskh ?
Bastien : Le lien entre l’image et le son a toujours été capitale pour Horskh, qu’il s’agisse de l’artwork, des vidéos promotionnelles ou des clips sur lesquels nous passons beaucoup de temps.
Jordan : J’ai le sentiment que c’est quelque chose de global dans le sens où ça vient en même temps que la musique.
Je crois savoir que cette image a été générée grâce au recours à l’intelligence artificielle via Midjourney…
Bastien : Oui, tout à fait, mais ce n’était pas prémédité… À l’origine, je voulais surtout utiliser la 3D mais nous ne sommes pas parvenus au résultat escompté si bien que, au bout de quelques mois, un ami m’a dirigé vers Midjourney… J’ai appris à l’utiliser pendant quelques semaines avant de produire une première image qu’on a retravaillée avec un graphiste pour aboutir à ce résultat convaincant.
Horskh semble bien ancré dans son époque culturelle avec l’utilisation décomplexée de l’IA et de l’autotune… Seriez-vous capable de définir ce qui, dans votre projet, relève de l’héritage et de la tradition, d’une part, et ce qui, d’autre part, vous situe assurément dans notre époque ?
Bastien : L’héritage, il se situe dans nos influences des années 1990, on en parlait tout à l’heure…
Jordan : Oui, et le fait qu’on continue à composer avec des guitares, sur des structures couplet/refrain, avec des synthés qui ancrent notre musique sur le dancefloor, ce n’est pas quelque chose de vraiment nouveau, même si on tente d’actualiser tout ça… On essaye en tout cas d’assumer nos influences de teenagers même si elles ne collent pas forcément avec notre style initial.
Bastien : Notre ancrage dans l’époque, lui, est le fruit d’une utilisation assumée du MAO, de l’autotune et de sons plus actuels.
Votre musique est le fruit d’un crossover qui fait sans nul doute la force de votre projet, elle est capable de toucher un public très hétérogène… J’en veux pour preuve que Body est avec Psalm 69 de Ministry, et Zoon de The Nefilim, le seul album de ma discothèque qui mette en avant avec autant d’énergie et de force la guitare… Mais ne croyez-vous pas que cette force artistique pourrait aussi s’avérer une faiblesse sur le plan médiatique car il est, en définitive, bien difficile de vous ancrer dans une scène musicale en particulier ?
Jordan : Oui, c’est à la fois un atout et un inconvénient, c’est certain.
Briou : À l’époque, on était trop metal pour les gens venant de l’electro ou trop electro pour les metalheads.
Bastien : Sachant que, au moment de la sortie du premier album Gate, nous jouions beaucoup dans la scène indus et goth, au Maschinenfest, au Wave Gotik Treffen de Leipzig… Aujourd’hui comme le son s’est durci et qu’il y a davantage de guitares, on est, la plupart du temps, bien reçu dans la scène metal.
Jordan : Oui, nous avons bien ressenti cette ouverture… que ce soit au Motocultor ou au Hellfest from Home...
Comment appréhendez-vous vos performances scéniques ? Je vous avais découverts lors de la première partie de SIERRA à Angers l’année dernière et j’avais observé que vous mettiez en avant un son EBM plus prégnant que sur votre album.
Bastien : C’est marrant que tu dises cela car nous avons aussi beaucoup de gens qui pensent, au contraire, qu’on sonne plus metal en live… Horskh essaie en fait de mixer toutes ses influences en mélangeant le côté entraînant de l’EBM et le côté plus énervé du metal. Au final, il s’agit d’amener un maximum d’énergie en maintenant le public en haleine tout au long du set.
Les bases d’un nouvel album sont-elles déjà en place ou allez-vous vous concentrer sur la promotion de Body sur scène dans un avenir proche ?
Bastien : Nous avons déjà pas mal de matière dans les tuyaux ; tout cela va s’inscrire dans la continuité, même si on va se permettre de jouer davantage sur les tonalités. On te parlait tout à l’heure d’apporter au projet une plus grande dimension mélodique et cette velléité va nécessairement entraîner d’autres changements sur le rendu final. Horskh va avoir des aspects beaucoup plus apaisés et, au contraire, beaucoup plus énervés.
Jordan : Au demeurant, ça a toujours été le cas, il y a toujours eu une continuité entre les albums… Pas de révolution mais des évolutions.
C’est une question collective par laquelle je conclus généralement mes entretiens : parmi vos trois albums, quelle est la chanson que vous voudriez absolument sauver pour la postérité et pour quelles raisons ?
Briou : "Damaged Rope"… Pour moi, c’est l’essence du groupe et même si c’est un morceau qui date un peu, j’y suis toujours très attaché.
Bastien : "Trying more"… C’était le premier morceau qui assumait nos influences grunge et qui traduisait une certaine ouverture. C’est morceau qui a très bien marché, au point d’être celui qui reste le plus écouté sur les plateformes de streaming… Il est ouvert sur autre chose et vers ce sur quoi nous nous dirigeons actuellement.
Jordan : Moi, je serais resté sur "Engaged and confused"… Les gens en parlent souvent et il semble, en définitive, nous symboliser et s’avérer assez fédérateur.