Il faut du temps pour éclairer le champ, dessiner cet horizon que l’on sent être à soi. Premier album solo d’Iris Capricorn, Decades, en travail depuis des années, ouvre un éventail du sensible. C’est le fruit du désir, du besoin sans doute, d’une expérience. Et l’expérience croît. La dame de Dark Sanctuary – dont le retour a été remarqué avec Cernunnos (2023) – connaît les dynamiques de groupe, elle les vit de l’intérieur. Mais elle s’assume solo, aussi, à partir d’aujourd’hui.
Decades est une carte d’identité, un univers qui se dessine en propre. Charmes qui agissent au long cours, de ces choses venues de l’intérieur. L’album a une délicatesse robotique : elle se trouve dans le minimalisme des couches, dans la manière dont les boucles se forment et se parent d’étrangeté ("Guava Blood"). De cette collection d’intentions, la cohérence se remarque. La collection est unie par une percussion serpentine, et dont certaines tourneries rappellent à leur mesure les délicatesses d’un Dead Can Dance sur Into The Labyrinth ("Saint Patrick’s Day"). Les tapis sonores, concoctés avec le précieux concours de Milos Asian Teran, sont soignés et créent le décor des histoires et ressentis. De la chair vocale de la protagoniste principale, pointent les regrets et le poids du souvenir : dans une ambiance foraine, l’amour a laissé des traces qui encombrent l’horizon ("Oiseau de Proie"). Jaillissent ces fragilités à soi invisibles ("Disharmony"), se dessine ailleurs le chemin de croix ("The Pilgrim"). Il y a une narration, toujours. Les histoires passent par des personnages, content leur vécu et le trauma impossible à surmonter totalement : celui de Madeleine, qui a vécu la douleur de l’enfantement et celle de la perte. Chérir la mémoire de l’enfant un temps niché dans votre poitrine ("Saint Patrick’s Day"). Decades, fragments d’humanité.
N’allez pas voir en ces choses une excroissance créative de Dark Sanctuary. Non que l’éventail n’évoque jamais le groupe – la voix reste la voix – mais si certaines formes soulèvent un sentiment de familiarité ("Haiku"), Decades, clairement, a sa vie. Il n’en intéresse que davantage, dans le dégagement de ses contrastes et de sa singularité : au besoin, les glissements tortueux des vocalises ponctueront ces paysages intérieurs de leur glaçage horrifique. Ce sont les manières, le vécu, c’est ce qui vous travaille. Mais un horizon dit aussi d’où viennent les choses. Iris Capricorn reprend le "Dream" de Rada & Ternovik, transportant le troublant original à l'intérieur du plan colorimétrique de l’album. Parachèvement d’une étonnante œuvre du sensible.