À voir les photos qui figurent dans ce livre, notre imagination fait immédiatement le lien avec les sectes hippies apocalyptiques de Charles Manson et Jim Jones. Ayant déjà fait l’objet d’au moins deux documentaires, la Source Family se rapproche plus au final de celle de Michel Rostand/Andreas dans Holy Hell (Will Allen, 2016) : entièrement centrée autour d’un gourou narcissique, obsédé par le culte du corps, sous le soleil californien et où la mission des adeptes – souvent choisis pour leur physique avantageux - est pour beaucoup de satisfaire sexuellement le maître, qui en termes de mégalomanie atteint des sommets. Petit hic, cet homme à femmes, champion d’arts martiaux, qui aurait voulu incarner Tarzan à Hollywood, a un gros faible pour les adolescentes et va même épouser quatorze de ses fidèles. C’est l’une d’entre elles, archiviste du groupe, qui écrit cette biographie et on peut dire qu’elle est toujours dans la dévotion et le désir. Si vous cherchez un point de vue objectif, vous ne l’aurez sûrement pas avec ce gros livre.
Ce qui n’a pas fait sombrer la secte dans le fait-divers macabre, c’est peut-être la mort (volontaire ou pas?) de son leader (en deltaplane !), celui qui se faisait nommer Father Yod ou YaHoWha, leader du groupe de rock psychédélique Ya Ho Wha 13, de son vrai nom Jim Baker. La partie sur son passé est sûrement la plus intéressante de l’ouvrage : comment un ancien Marine et judoka devient-il très riche en ouvrant un restaurant végétarien connu pour sa salade arc-en-ciel ? Car il faut le préciser, c’est ce lieu bien connu des acteurs hollywoodiens (Marlon Brando, Tony Curtis, Warren Beatty…) qui a financé pendant des années la secte ! Plusieurs rencontres ont été importantes, d’abord celle avec Yogi Bhajan, qui devient son père spirituel et lui donne envie de se convertir au sikhisme, mais aussi celle avec les Nature Boys de la Côte Ouest qui mêlent spiritualité et naturisme. Athlète ayant pratiqué la lutte, Baker, propriétaire un temps d’une salle de musculation, a aussi un casier judiciaire. En légitime défense, il tue un voisin de ses propres mains. Celles-ci seront considérées comme mortelles quand il se retrouvera encore dans une histoire d’homicide involontaire avec un mari jaloux. Car oui, Jim Baker est un hétérosexuel convaincu, et il saute sur tout ce qui bouge. On lui prête même une liaison avec Greta Garbo ! Après s’être intéressé aux propriétés médicinales des aliments, il est initié à la culture psychédélique en 1967. Ce sera là aussi une révélation.
Ouvert en 1969, le restaurant The Source va vite devenir un lieu de rassemblement pour des jeunes hippies en quête d’une communauté. Baker change de look, s’habille en blanc, se laisse pousser la barbe et les cheveux et utilise tout son talent de showman. Father Yod est né. De retour d’Inde, il se décide à devenir lui-même un père spirituel, mais une figure paternelle qui... croit dans les dollars et dans l’Amérique ! Le dimanche matin, les séances de méditation sont de plus en plus fréquentées et en 1972, la Famille, devenue grande, se rassemble dans un manoir de quinze chambres. Father décide qu’il accouchera toutes ses femmes, essentiellement des mineures. Isis, l’autrice, était quant à elle promise à un avenir radieux. Ancienne Miss et pom pom girl devenue modèle, elle ressent néanmoins un manque spirituel et lâche tout pour rejoindre le Père. Dans la Famille, on trouve aussi beaucoup de musiciens de la scène de Los Angeles, dont Sky Saxon des Seeds ou l’acteur Bud Cort. L’enseignement y est basé sur la polarité masculin/féminin – les homosexuels étant mis à l’écart – avec de nombreux exercices fantaisistes, comme tenir sa langue entre ses doigts quinze minutes en louchant ! Est-ce que cela peut mener à la lumière au bout du chemin ? Isis Aquarius y croit dur comme fer. C’est là aussi les limites de ce livre. Nous sommes souvent dans l’éloge de ce qui semble être un égocentrique lubrique. Et la philosophie du maître apparaît bien mince et fumeuse tant tout est centré autour de son charisme et tout ne tient que par ça. Un intervenant mentionne, cela dit, le danger pour les enfants, surtout avec l’aversion de Father Yod pour la médecine (il refusait même le port des lunettes).
Au final, La Source Family ressemble à des tas d’autres sectes new age comme on en trouvait plein dans les années 1970, avec une prédilection pour le sexe, la drogue (le rituel quotidien de l’Herbe Sacrée) et le rock’n’roll. La partie sur la musique, écrite par Electricity Aquarius (les auteurs gardent le nom que le Père leur a donné), est en revanche, assez passionnante. En effet, dans la grande période de la secte, ils ont eu leur propre studio d’enregistrement et leur label, Higher Key Records. Les disques de Ya Ho Wha 13 ne sont d’ailleurs pas dénués d’intérêt, et ont marqué la scène psyché du milieu des années 1970.
Suite à la vente du restaurant, les choses vont commencer à se gâter. Il faut de l’argent pour nourrir toute cette communauté. Un moment, ils déménagent même dans une maison construite par Catherine Deneuve à Nichols Canyon, là où elle gardait deux léopards en cage et où des tournages porno eurent lieu, et qu’elle revendra plus tard aux membres d’Abba. À partir de ce moment-là, ils ne vont faire que bouger, un temps à Hawaï où ils génèrent une certaine haine, pour revenir à San Francisco. Father commence, de son côté, à être obsédé par une guerre nucléaire qui devrait advenir en 1975 ou 1976. Ses visions d’une troisième guerre mondiale l’amènent à vouloir se réfugier sur une île. Quel est, alors, l’avenir de la Source Family ? Les gens se dispersent, retournent à des vies individuelles et Father Yod va alors "quitter son corps" quelque part avant la dégringolade.
Par la suite, certains vont sombrer dans la drogue ou la dépression. D’autres vont continuer la musique, créer des affaires qui marchent ou se prostituer. Égarés sans leur maître, ils seront comme des brebis perdues. On peut dire que le final de l’histoire n’est pas aussi spectaculaire que ce qu’on attendait... où l'on se retrouve avec des recettes de cuisine, dont la soupe à l’orge et aux champignons. L’auteure a aussi rassemblé les commandements et les sources bibliographiques qui ont inspiré la secte, ainsi que certains rituels singuliers comme l’Anneau de feu, la Posture de l’Étoile ou la Vague pinéale. Au final, un des intérêts du livre est surtout de décrire l’esprit californien d’une certaine époque et de faire le portrait d’un étrange personnage qui s’est pris pour Dieu, dont on ne sait toujours pas s’il croyait en ce qu’il disait et/ou s’il était un grand imposteur.