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Album
13/06/2020

Jehnny Beth

To Love Is To Live

Label : Caroline Records
Date de sortie : 2020/06/12
Genre : art rock / art punk / electro
Photographies : Jehnny Beth 2020 © Johnny Hostile
Note : 85%
Posté par : Emmanuël Hennequin

Nous ne l’avons rencontrée qu’une fois, mais ça saute à la figure. Son regard vous rentre dedans, charisme en diable. Sur scène, vous ne voyez qu’elle, c’est comme ça. Son corps est une âme, la force vient de l’intérieur.

Alors s’enfermer dans un rôle, à d’autres. La force de Jehnny est aussi dans la manière dont elle s’expose. Elle soigne les images et ne se montre pas n’importe comment, n’importe où : preneuse, donneuse de parole, spectatrice, actrice et commentatrice du son, de sa causalité, de ce qui fait que les choses existent. C’est dans les choix que s’écrit l’histoire des êtres. Ces derniers mois, conjonction des astres : Beth nous disait en filigrane de ses activités média (Echoes, ARTE) être autre chose que la chanteuse charismatique d’un (formidable) groupe noise rock, Savages. Il suffisait de regarder ou d’écouter ses shows : Jehnny était en train de se déplacer, le citron bouillonnait. Un potentiel en dévoilement, autre que celui de la femme rock : exposition à même de décaler l’image de la frontwoman, et le temps qui file. Le dernier album de Savages, poing levé et culte (Adore Life), est paru en 2016.

Jusqu’ici, nous rattachions Jehnny au collectif. Unir plusieurs : le groupe vise une chimie, souhaitons-la magique – mais peut-être arrive-t-il un moment où se produit comme un déclic intérieur, écho d’une question restée en tension basse mais qui soudain envahit le spectre. Moment X ou Y : "que, qui suis-je ?"

"I am" est le titre qui fait se débuter To Love Is To Live, et ce n’est sans doute pas sans raison. Le disque solo, c’est partir à la rencontre de soi et Beth elle-même a dit le mal qu’elle a pu éprouver à se définir, à la question posée de ses qualités ou forces principales.

Le disque solo, il faut un moment pour que ça arrive, un entourage sans doute aussi.
Jehnny est bien entourée. Sur l’action, trois producteurs (Flood, Atticus Ross, et un certain Johnny Hostile) et guests choisis (Romy Madley Croft [The xx], l’acteur irlandais Cillian Murphy). Parmi les invités se trouve celui qui a posé la question de la force principale (Joe Talbot, d’IDLES), participant peut-être au déclenchement d'un tsunami. To Love Is To Live est une vague sans nom, elle prend tout. Pas un disque de rock, un florilège d’intentions. Les guitares ne crient pas comme dans Savages, ce n’est pas le même jeu. Le piano déflore l’intime (paysages nostalgiques sur "French Countryside", sublime), quand la technologie s’arroge les premiers rôles et crache un venin ("I’m the Man", regarde moi et laisse de la place). La voix de Jehnny serpente entre les pulsations, se glisse dans les couloirs d’une angoisse amoureuse passée ("Flower", souvenir d’une émotion en germe au Jumbo’s Clown Room, fameux club burlesque d’Hollywood). Beth fout en l’air les codes romantiques de la pop et dit ce qu’elle a vécu, ce qu’elle voit ou ressent, franchit les barrières insupportables ("We will sin together").

Savages est-il mort et enterré ? Nous regretterions sa hardiesse, soyons honnêtes ; mais ces choses-là ne peuvent valablement exister que dans la convergence des énergies. Cette dernière fait la radicalité et la beauté du groupe, sans doute au prix – mais il faudrait en demander confirmation à Jehnny et ses comparses – de sacrifices individuels. Le groupe n’existe que le temps d’un dévouement : une abnégation acceptée, négativement dit supportable. Peut-être qu’un jour, ça ne suffit plus. Peut-être aussi que l’équilibre, ce qui est "bon pour soi", sera dans l’aller-retour entre liberté solo et dynamique sacrificielle du groupe : entre une liberté qui peut angoisser et un cadre qui rassure, où d’autres énergies peuvent être connues, vécues, partagées, transcendées. Flux et reflux, l’avenir dira.

L’heure est au soi. L’intériorité enregistre ou subit, la volonté impulse ou répond, et les contradictions irrésolues forment le lit de nos erreurs. Né d’une angoisse de mort (que laisse-je pour après ?, question laissée à Beth en jachère par la mort de Bowie), le premier chapitre solo, "œuvre de fiction", trouve stimulus en le mystère intérieur. L’intelligence le dispute alors au sensuel dans cette collection peu classable et à la puissance aléatoire et cinématographique. C’est la beauté des fulgurances : mélange de laisser-aller et de contrôle, exigence de forme. Jehnny est d’abord Camille, et les héroïnes sont celles qui avancent au mépris du danger, sans se prendre pour ce que les autres voient en elles.

Tracklist
  • 01. I am
  • 02. Innocence
  • 03. Flower
  • 04. We will sin together
  • 05. A Place above
  • 06. I'm the Man
  • 07. The Rooms
  • 08. Heroine
  • 09. How could you
  • 10. The french Countryside
  • 11. Human