Il y a quelques mois un superbe coffret est paru chez Potemkine Films autour du chef-d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis. S’étant déjà prêté à l’exercice, notamment sur La Chute De La Maison Usher de Jean Epstein, Joakim avait été sollicité pour réaliser une nouvelle bande-son, succédant ainsi à un grand nombre de compositeurs, allant de Moroder à Jeff Mills en passant par Dieter Mœbius et Art Zoyd. La fondation Murnau a ensuite refusé que de nouvelles musiques soient ajoutées à la restauration sur Blu-ray du film. Pourtant, on ne peut que constater qu’il s’agit sans nul doute de la plus belle partition que ce classique de la science-fiction pouvait bénéficier, notamment avec ce travail fascinant sur le son des machines et les textures industrielles et futuristes.
Depuis l’electronica surréaliste de Fantômes (2003), Joakim n’a eu de cesse d’expérimenter dans tous les domaines et de faire tomber les barrières entre les genres, des plus avant-gardistes aux plus easy listening. À travers Metropolis, on peut clairement dire qu’il a pioché dans plus de vingt ans de pratique musicale pour produire un magnum opus qui s’étend sur deux vinyles, et qui s’affirme comme un condensé de tout ce qu’on a toujours aimé chez lui, de l’electro acide et hallucinée ("The Belly Dance" qui pourrait rappeler son fameux "Paranoid") aux plages ambient totalement mystiques et oniriques ("The Church", "In Bed", "Reunited") en passant par de douces mélopées exotiques ("Garden Party"). Joakim mêle les instrumentations et n’a clairement peur ni des orchestrations symphoniques ni du minimalisme le plus abstrait, piochant dans sa grande collection de synthétiseurs analogiques pour produire des ambiances granuleuses où les époques se rencontrent. Il est aussi important de souligner que Joakim s’est ici essayé à la technologie Dolby Atmos et on doit admettre l’immersion fascinante que cela constitue de voir et entendre cette version du film en salle.
Ayant souvent conçu ses albums comme des concepts, il semble que l’univers de Metropolis lui a offert une liberté immense, tout en l’amenant à développer des thèmes et une atmosphère cohérente. Quoi de plus beau que ce "Freder and Maria in Love", aérien et fragile, orchestral et délicat, où l’émotion tient du fait que l’édifice pourrait s’effondrer à tout moment ? Cette superbe mélodie sera d’ailleurs reprise sur "The End" et l’on pense de suite au "Laurie’sTheme" de John Carpenter (dans Halloween) ou surtout à la bande originale que Colin Towns avait composée pour Le Cercle Infernal de Richard Loncraine.
Ce Lost Soundtrack se caractérise surtout par sa noirceur, à mi chemin entre dark ambient et musique industrielle, en accord avec la dystopie citadine du film. Il suffit d’écouter "Hel Transfer" ou "Hel Robot" pour se rendre compte que le spectre de Throbbing Gristle n’est pas loin. Car c’est bien à l’origine de l’indus et de L’Art Des Bruits de Russolo que Joakim est revenu. Les mécaniques invitent à des danses robotiques ("Opening Scene", "Workers Riot", "City Collapse"). Les boucles bruitistes donnent la fièvre ("Madness"). Les manipulations électroniques soutiennent une tension et une inquiétude ("Joh’s Office", "Hel Maria perverts Workers", les glaçants "Moloch" et "Roof Chase") quand elles ne sont pas rejointes par des violons grinçants dignes du travail de Hermann Kopp ("The Chase").
Mais là encore, Joakim ne se cantonne pas à un style et le pousse jusqu’à ses limites (le minimal synth de "Rotwang in the Lab", l’ambient sinistre de "Pressure" digne des BO de Steven Severin). Au bout du compte, on ne sera pas surpris d’entendre une clarinette ou un violoncelle au milieu de ce maelstrom d’électronique claustrophobe et granuleuse. Puis en accord avec la palette émotionnelle riche du film, "Georgy dies" explore une mélancolie très proche du travail d’Angelo Badalamenti sur Twin Peaks alors que "GEFAHR" et "Children are safe" ne flanchent pas devant la grandeur dramatique.
Parmi les morceaux de bravoure, on ne peut omettre "Burn the Witch", crescendo hypnotique de plus de treize minutes, qui prouve à quel point Joakim s’est fixé pour objectif de produire une musique aussi ambitieuse et épique que le film auquel elle sert de support. C’est brillant de bout en bout, souvent bouleversant, et vous restez en haleine, même à écouter les compositions sans les images. Joakim a mis la barre très haut et on se demande bien ce qu’il va nous mijoter pour la suite.