Nouvel album pour John 3:16 et nouvelle mutation, cette fois en compagnie du duo Be The Hammer. On avait quitté le projet de Philippe Gerber en 2020 (album Tempux Edax Rerum) sur un son post-noise fortement rehaussé de parties percussives et secondé par le violon de Rasplyn (Carolyn O'Neill). Avec Swarm, l'évolution est une nouvelle fois tangible et forte car elle surprend*. Il ne s'agit pas de rester dans une zone de confort, ni de faire le même album ou de creuser la même veine. Bien sûr, on va retrouver ces ambiances à la fois crépusculaires et dantesques, ces couches de guitares, ces morceaux qui prennent le temps (la litanie "Scavenger" dépasse les dix minutes pour clore l'album) et la place importante accordée à la partie rythmique. Pourtant, l'arrivée de la voix propulse le projet vers autre chose. Les percussions ne sont plus un rythme qui soutient et renforce, mais une partition à part entière qui joue ses propres notes avec le morceau. Et, lorsque les nappes sonores se suffisent, la batterie n'est pas conviée ("Wayward", hypnotique, lent, montée guidée par une mélopée répétitive).
Cette voix est masculine. C'est celle de Raoul Puke, qui récite plus qu'il ne chante. Tonalité très basse, rocailleuse. Elle opte pour le français sur "Derelict" et fait alors songer aux travaux de No One Is Innocent avec l'écrivain Maurice G. Dantec. On pense cependant à la vague de noise slam (Dälek, Moodie Black, Black Sifichi...), sans que la scansion n'y fasse référence : c'est la parcimonie qui a été choisie. Les volutes se déploient alors, prenant parfois une tournure plus électronique ("Retaliation", "Derelict").
Sur "Vagrancy", le super groupe crée un titre presque tubesque : les notes de guitare lead (le retour d'un son plus new wave) qui surplombent ou bien se font couler sous le béton liquide des gros riffs, les volutes de chant religieux, la présence d'une basse bondissante amènent à un cadre instinctif et d'un format plus classique qui fait sens au milieu de l'album (j'imagine que ça correspond à la deuxième face d'un format vinyle).
Avec "Streaks", un peu plus tôt, la conjugaison des deux projets est pleinement aboutie puisqu'on y retrouve tous les éléments qui font sens : la voix donc, les nappes synthétiques, les guitares qui bruissent et font corps, les saccades rythmiques tout en grâce et profondeur. Jean-Marc Nicoletti et Philippe Gerber montrent une affinité rare et il est impossible de déterminer qui a composé quoi ou qui joue telle ou telle partie.
Les compositions alternent les effets, ainsi on découvre la courte pépite (à peine plus de deux minutes) intitulée "Womb" : un peu de piano, un sample qui crépite, une nappe hyper travaillée, des percussions, des voix sous effets brouillard dans le lointain. Un travail d'orfèvre qui s'arrête un peu brusquement, bien trop tôt à notre goût.
John 3:16 a été longtemps un projet perçu comme instrumental (alors que des voix s'y sont toujours cachées). Le passage à une vocalisation découverte est un épisode plus que convaincant.
_____
* deux titres du futur album, The Pact, ainsi qu'un split sept titres avec Mark Harris, Procession, tous deux disponibles début mars, posent des éléments annonciateurs de Swarm et de l'année 2023.