Ce sont de nouveaux paysages très travaillés que nous propose la paire John 3:16 / Mark Harris. Déjà rôdés à collaborer ensemble, ils ont ici repoussé de nouvelles limites en s'affranchissant de leurs habitudes. Les sons semblent partir d'un nouveau postulat, sans pour autant qu'on puisse parler de table rase. Tous deux s'étaient rencontrés virtuellement via leurs propres sites soundcloud et la concordance autant que la complémentarité de leurs travaux respectifs les avaient marqués : "les tonalités apocalyptiques et sombres du travail de Philippe m'avaient piqué", me confie Mark, "car elles reflétaient les fonds les plus obscurs de mon travail ambient." Ils avaient alors assemblé ensemble Victory Over The Sun, Philippe apportant notamment ses guitares.
Le travail percussif qui montait au front sur les derniers John 3:16 est ici mis en sourdine et on a un résultat plus étrange : par exemple "When the Lord took my Hand" se fait planant, brossé, caressé. Malgré la noirceur et les plaintes vocales tout juste audibles, on a un guide qui nous promène. Y voir un parallèle avec le duo qui arpente les Enfers de la Divine Comédie me semble une piste plausible. Pour Philippe, il s'agissait de sonder l'Humanité, son parcours et son désir d'autodestruction, un thème qui guide son prochain album, The Pact. Guidé par ses ambitions, l'Homme est capable d'amener l'Humanité à sa perte.
De là, une fureur, une colère qui se tourne vers le Créateur et à travers cette figure – pas que symbolique – vers l'acte créatif lui-même : "He once made us tremble" possède cette force (percussions du premier tiers) qui s'évanouit, cède place à un effarement silencieux. Comme si la vanité des luttes annihilait ces sursauts.
Sur "Procession", on retrouve cette force de frappe des percussions de John 3:16, mais le rythme reste relativement simple et efficace : l'essentiel de l'agression passe par les couches successives de guitares et drones, gardant en ligne de crête une mélopée orientale. Il y a là du Pink Floyd, explosé sous les attaques noise. L'impression de collectif est un trompe-l'œil puisque les deux n'ont pas travaillé ensemble. Chacun donnait ses propres pistes à l'autre qui s'ingéniait à les trafiquer... Un travail au long cours qu'eux-mêmes nomment une "destruction créative" : que des éléments aussi délicats que les cloches et les échos de "Cold like the Stars" aient survécu témoigne de la maîtrise et de l'écoute réciproques. Les ambiances sonnent et forment sens, quels que soient les lieux de captation pour Mark : ainsi, il cite des enregistrements réalisés dans des mosquées, des grottes, des forêts et des églises. L'espace généré tient du sacré et du primordial, écrasant parfois l'auditeur de son large spectre.
Cette claustrophobie sentie émane sans doute du commun état psychologique des deux hommes durant le processus : l'un souffrant de maladie et peinant à se rétablir (Mark), l'autre emmêlé dans un temps personnel sombre et lugubre (Philippe). Tous deux ont alors eu recours à l'occultisme, à la cosmologie pour trouver un sens : avoir ainsi le diagramme d'une planète en orbite autour du Soleil, et un batteur squelette donne une piste. Le minuscule et le gigantesque, les vanités et la musique, le rythme individuel et la course collective des astres. "We walk across the Rooftops" nous amène ainsi à perdre nos repères, le long des vagues croissantes. Quelques échos et pointes qui jalonnent le parcours, des allers-et-venues, sac et ressac, spirale de sons. Ce que ces deux hommes créent reste singulier, unique. Difficile de rattacher un tel morceau à un genre : noise, post-rock, drone, ambient, cinématographique, shoegaze... C'est vicieux dans ce que ça inflige, et addictif par les douceurs qui se dégagent et accompagnent la brutalité sonore.
Pour sortir du disque, un "Hades unseen" encore pétri de rock seventies, tout en langueur et masse, douceur et énergie. La frappe des percussions s'estompe progressivement, remplacée un temps par les nappes de guitare, avant de faire son retour en cymbales et tempo entraînant. Qu'importe le désespoir, tremblons maintenant sous les assauts sonores !