Tempus Edax Rerum est le nouveau long format de John 3:16. C'est le deuxième album du projet qui, en parallèle, a multiplié les formats originaux (EP, titres solos, collaborations... de quoi se remplir deux bons CDs supplémentaires ras la gueule et générer dix chroniques sur Obsküre !).
L'ambiance est beaucoup plus travaillée et plus lourde. En effet, les ajouts de cordes dès l'introductif "Part I" font monter une forte tension, donnant à sa musique des allures de bande-originale jouée par un orchestre pour des superproductions. La comparaison s'arrête là, puisque la longueur des morceaux et l'absence de narration créent un univers de références autres : la montée en tension n'est pas un but unique, ce qui générerait une suite de compositions calées sur des séquences. Le prolongement de la musique suit une évolution et modifie fortement le propos, évitant ainsi la focalisation sur une seule sensation, ce que ne font pas les B.O. traditionnelles.
Cette évolution n'est pas non plus celle pratiquée par le post-rock avec la classique montée et sa redescente. Instrumentaux, ces morceaux font se télescoper des mouvements internes, plus basés sur une analogie avec des courants marins, des déplacements de masse d'air ou encore des écoulements de magma (forces de la Nature). Ainsi "Part I" crée une succession plutôt fluide d'impressions et de paysages. "Part II", mis en libre écoute sur bandcamp, est un titre profondément martial (percussions toujours plus présentes, sur des rythmes bien alambiqués !) et répétitif, générant au fur et à mesure un intense sentiment de libération et de puissance. Sur "Part III", de brutales déflagrations pilonnent une mélodie en ligne claire. Là aussi, la montée s'accompagne de parties percussives à la belle intensité, et de bifurcations stylistiques (pourtant naturelles) ; l'orage offert rivalise avec les climax de guitares de The Cure ou Ride en live au milieu des années 90. "Part IV", avec Rasplyn (Carolyn O'Neill) en invitée, est plus planant, équilibrant le disque avec une mélopée sans paroles (il me semble que sur la version cassette, le titre s'allonge encore). "Part V" clôt l'exercice avec une brièveté relative (5mn39). Les sons non musicaux ramènent à la Nature alors que les ondes créées par instruments forment des nappes menaçantes.
L'enregistrement donne toute sa force aux percussions (un peu comme pour du Test Dept ou le résultat obtenu par In The Nursery) et la mise en avant des pistes lead – sur la couche de drones, larsens et notes tenues – crée un champ triple sur lequel focaliser l'attention. La conception du mur sonore dépasse un peu nos capacités d'écoute : avec Philippe Gerber, on a affaire à un monstre de studio apparenté au Trent Reznor de The Downward Spiral. Ce qui est intéressant, c'est ce qui surnage de ces mystères de composition : le jeu avec le volume, les parasites, ces ajouts d'instruments symphoniques (sans les faire sonner orchestre, mais davantage dans une optique liée au black metal). La construction, plus libre et de fait plus ouverte, me fait penser à un moment psychédélique et raisonné dans l'œuvre de John 3:16. Toutes proportions gardées, on a là une sorte de jeu à la Pink Floyd.
Sur la cassette, la deuxième partie de la face A (inédite) est plus rugueuse, la guitare saturée sonnant proto-punk ou garage en style asséché ; les percussions se font tablas (d'où aussi cette idée d'un Pink Floyd) avant que "Part II" ne remporte le combat.
Pour accompagner la musique, les visuels et les titres offrent des pistes. La version digitale n'a que le titre de l'album ; la version cassette lance un titre par face. Tempus Edax Rerum, c'est "Le Temps qui dévore Tout", une citation d'Ovide, extraite des Métamorphoses ; "Mors omnibus", c'est "La Mort pour Tous" ; enfin "Mors vincit omnia", c'est "La Mort l'emporte sur Tout", sans doute un jeu sur le vers célèbre de Virgile Amor "vincit omnia", extrait des Bucoliques.
Les multiples photos et illustrations promotionnelles qui accompagnent cette sortie exhibent des animaux morts, biches et oiseaux principalement (à noter qu'un titre a précédé l'annonce de la sortie de Tempux Edax Rerum, l'attentiste "A wounded Deer leaps highest").