Cet album Hypnagogia est un faux tendre. La majeure partie des nouvelles compositions démarre doucement, délicatement. Aurait-on un neuvième album introspectif et assagi par un état dépressif ? "Fear" en guitare claire évoque les meilleures ballades écrites par Joy/Disaster : les émotions sont en ligne de mire. "Nowhere" lorgne du côté de The Blue Angel Lounge le temps de quelques mesures. "Into a Dream" se la joue slow légèrement musclé. "Sorrow", malgré ses airs bravaches, joue la mélancolie dans laquelle on se drape avec fierté.
Et puis, la bascule se produit, un rythme se met en train et force vers un côté plus revêche. Les astuces sont là, "Celebrate" et son final plus travaillé, le solo acidulé et piquant de "Fear" qui arrive lorsque les guitares ont sorti leur saturation. Les couches sont à écouter avec précision : le mur du son fabriqué sur les guitares est touffu. La voix est mise en avant au mixage pour sonner au mieux ("Whispering to the Wall") ; c'est d'ailleurs fascinant de se dire que la tessiture rêche et forte de Nicolas Rohr était déjà présente dès leur premier disque officiel, sorti en 2006. Lorsque le groupe avance de front, la charge émotionnelle est entière, précise, portée par des roulements et des cadences offrant à la voix une ouverture plus large (le refrain haut les cœurs de "In the End"). Les changements de line-up n'entament en rien l'identité de Joy/Disaster.
Ce disque offre une palette de compositions (avec presque la formule du titre synthétisé en un unique nom), dont ressortent évidemment le plus agité "Wiping Tears", un single possible, et le dansant "Promise", agile comme un Franz Ferdinand qui aurait muté en combo rock'n'roll. Toutefois, le contenu en onze titres (ce qui nous amène à franchir la barre symbolique des cent compositions signées par le groupe !) amène une difficulté pour intégrer l'ensemble de la livraison. C'est là où il faut de l'expérience : la beauté de la basse de "Celebrate" doit être soulignée : le groupe a de la matière lorsqu'il resserre son propos et délaisse les habillages multiples. Ces phases à deux instruments couplés à la voix donnent un allant. C'est aussi ce qui fait le charme du lancement de "Fear" : efficace dans sa simplicité et sa mise à nu. "Whispering to the Wall" se construit pas à pas, pièce centrale bien choisie.
Le son est une nouvelle fois capté au mieux, accentuant la personnalité du groupe dans le maintien de sa singularité tournée vers les guitares. Les effets et pédales sur le solo liminaire de "Sorrow" exposent le groupe dans son délicat positionnement : ni rock gothique, ni heavy, ni progressif. Avant le plaisir d'un riff qui tourne et écrase.
Avec autant d'albums, Joy/Disaster s'est imposé par le nombre et le talent, refusant de céder sur son caractère, avec un son caractéristique. La rapidité des trois dernières sorties et leur intention davantage à sens unique amène à penser à une sorte de trilogie. On verra ce qu'il en est, avec un groupe bien campé sur scène.