Justin Sullivan n’est guère un inconnu pour ceux qui suivent l’actualité rock indé depuis quelques décennies. Leader charismatique de l’excellent groupe rock punk New Model Army, le natif de Bradford s’était déjà essayé par le passé à prendre la tangente pour écrire en solo. Il en était résulté le superbe et aquatique Navigating By The Stars, album entièrement écrit lors d’une traversée sur un cargo.
C’est dix huit ans plus tard que Justin Sullivan s’offre une nouvelle échappée, à la faveur de la pandémie. En toute logique, le musicien s’est saisi de l’arrêt forcé de son groupe, qui tourne de façon intensive malgré les quarante ans de carrière, pour s’exprimer à nouveau seul. Composé au mois d’avril 2020, Surrounded, qui rassemble seize titres et dure plus d’une heure, témoigne à nouveau de l’appétence de Justin Sullivan pour les atmosphères oniriques. Notre homme se présente en conteur, préférant l’épure d’une écriture voix-guitare à l’électrification du son. La production discrète, apporte une sensation de présence de l’artiste à nos côtés. De très beaux arrangements distillent des touches sonores d’une grande délicatesse ("Clean Horizon"), permettant de colorer les titres d’ambiances intimes et subtiles. Justin Sulllivan s’est entouré pour ce faire de Jon Thorne à la basse (les notes inquiétantes de contrebasse sur "Sao Paulo"), Tom Moth à la harpe (il s’agit du frère de Ceri Monger, bassiste de NMA), ainsi que pour les arrangements de cordes, de Tobias Unterberg, Henning Nügel et Shir-Ran Yinon (cette dernière officiant régulièrement dans NMA notamment pour le tubesque "Green And Grey"). Le mix a été réalisé par Lee Smith, autre collaborateur régulier de NMA.
Justin Sullivan nous propose un voyage poétique, au cours duquel la nature est essentielle, centrale. Les éléments se font tantôt menaçants, tantôt apaisants (les ciels peuvent être gris et orageux, mais la lumière se veut protectrice). Sullivan débute l’album à la manière d’un chamane, en ne se servant que de sa voix pour introduire l’œuvre. L’idée de peuple ancestral, de culture perdue se retrouve dans les textes et dans l’arrangement sonore notamment sur le très beau "Akistan", où de somptueux refrains font la place belle aux cœurs d’hommes, que l’on pourrait imaginer vivre dans un paradis perdu. Chez Sullivan, il est question de respiration, de lecture dans le cœur des gens, de miroirs qui ne reflètent plus rien, de possibilité de mourir pour une cause mais non de tuer pour elle. Une certaine nostalgie semble toucher l’homme par moments même s’il sait mesurer le chemin parcouru sur "Ride". Ses talents de conteur atteignent leur paroxysme sur "Amundsen" : Sullivan relate la vie de Roald Amundsen, célèbre explorateur norvégien de l’antarctique, dans un verbe réflexif : "Ne te fie pas à la glace, ne te fies pas au vent, ne te fies pas aux hommes."
Ce second superbe album solo que nous livre Sullivan est dense. Les ambiances, paysages sonores et histoires sont très diversifiés, mais une écoute attentive sera cependant nécessaire pour réussir à se laisser embarquer. Il n’y a pas réellement d’effet d’immédiateté comme on peut le ressentir dans les albums de NMA et ceux qui chercheront un état des lieux politique de notre époque en seront pour leurs frais. Malgré tout, une forme d’ADN propre à NMA se retrouve sur cet album et la fameuse "family", du nom des followers du groupe ne devrait pas se trouver en terre inconnue. Encore une fois, l’artiste Joolz, proche du groupe, a réussi à synthétiser l’esprit comme les ambiances de l’album pour la pochette.
L’homme en colère et désabusé qu’est parfois Sullivan se métamorphose ici en narrateur intriguant, fascinant et touchant, tout en conservant l’humilité d’un homme modeste, mesurant le bonheur d’être simplement en vie.
