Nous attendions fébriles la nouvelle tournée mondiale de Katatonia, impatients (curieux !) d’entendre sur scène le onzième opus City Burials paru fin avril et salué par la presse comme un grand album. C’était juste avant "un événement mondial quelque peu imprévu" venu remettre en cause les projets du groupe (et fragiliser économiquement le monde de l’art et de la culture tout entier). Il a donc fallu revoir les plans, et les maîtres suédois du dark rock ont choisi de livrer à leurs fans un album live d’un genre particulier, en l’occurrence le produit d’une session studio diffusée en streaming payant (conditions live) le 9 mai 2020 dans les studios Grondahl à Stockholm.
Le bien nommé Dead Air comprend un tracklisting de vingt titres (quatre-vingt-huit minutes au total) d’un répertoire qui a l’originalité de restituer les vingt morceaux les plus téléchargés du groupe à ce jour. Le résultat est une incursion réjouissante dans le patrimoine musical du groupe qui court sur deux décennies. La tracklist de Dead Air, qui inclut trois titres (jamais entendus en live à ce jour) de City Burials, répond une nouvelle fois au désir d’alterner subtilement singles et morceaux de bravoure, parties atmosphériques et morceaux véritablement épiques (grâce notamment à la patte du nouveau guitariste). Après un début de concert qui semble témoigner d’une certaine nervosité (le rythme comme la voix de Jonas semblent un poil trop haut ; le groupe en fait un peu trop sans doute), les membres trouvent leurs marques et déploient une superbe énergie.
Il ne fait pas de doute que chaque fan trouvera du plaisir, selon ses goûts et ses penchants. Le "gros son" est ici plus assumé et poussé que sur City Burials, et les aficionados du genre seront satisfaits à l’écoute notamment de "Behind the Blood" ou "Forsaker". Le versant plus sensible n’est pas en reste avec des titres poignants où plane le désespoir, tels (toujours) "The racing Heart" ou (plus encore !) "Tonight’s Music" servis par la voix de Jonas Renkse (et en arrière, des backing vocals venant souligner remarquablement l’intention des morceaux). Si des titres ne retrouvent pas systématiquement leur intensité originelle (il manque parfois le son ample des albums studios) ni la force émotionnelle entendue sur d’autres concerts (Sanctitude…), d’autres surprennent au contraire par l’intensité renouvelée et par l’impressionnante maîtrise technique du groupe dont le plaisir à jouer est ici très palpable.
L’exercice de "synthèse" que constitue Dead Air est réussi au sens où la cohésion musicale est démontrée alors qu’il n’était pas évident a priori de donner à ce vaste corpus (de vingt ans et onze albums) une telle unité sonore. On peut parler d’un beau "lifting" qui érige le travail et la démarche artistique de Katatonia au rang d’œuvre. Le groupe nous prouve ici de manière flagrante qu’il a tissé un univers singulier qui n’appartient qu’à lui (ce qui n’est pas le cas de tous les artistes, loin s’en faut). La cohérence de l’œuvre est là, Dead Air en est le témoignage. Ce live original a en outre réussi un second pari : celui d’inviter chacun de nous à revisiter sans plus attendre les albums du groupe - jamais médiocres, ce qui est là aussi une autre singularité…
Pour terminer, au petit jeu du "fan", voici en toute subjectivité un top 5 de ce Dead Air :
7. "The racing Heart" [04:26] > une chanson toujours aussi belle et désespérée avec une seconde voix masculine qui ajoute une belle dramaturgie au morceau.
8. "Soil’s Song" [04:07] > une composition parfaitement retransmise, digne de la version studio ! Avec une puissance et une énergie peut-être supérieure encore.
11. "Tonight’s Music" [04:22] > un titre contrasté, lyrique, qui s’envole, désespéré à souhait.
14. "Lacquer" [04:51] > Le pari est franchement réussi pour ce nouvel extrait de City Burials. La densité émotionnelle est même supérieure à la version studio parce que le titre a été nettoyé de scories trop lyriques ; l’émotion est à fleur de peau, la noirceur apparaît davantage.
17. "Unfurl" [04:52] > Un morceau plus calme, moins lourd, très très beau.