Pour célébrer les dix ans de la sortie de son premier album, Tonight's Special Death (2010), Thomas J. Cowgill a décidé d'en revenir à ses racines : un style dark folk épuré, brut, retraité par divers effets de reverbération, d'échos et de distorsions : une plongée dans l'americana qui assumerait l'héritage de Hank Williams et Johnny Cash, mais en mode caverneux. Le format du disque est court, neuf morceaux pour une demie heure de musique, le tout assuré par Cowgill lui-même : composition, enregistrement, mixage, masterisation. Réalisé en deux semaines au début du mois de janvier, ce Full Virgo Moon est donc un pur produit do-it-yourself. S'il en revient à une approche dépouillée, le musicien ne laisse rien au hasard pour autant. Basées soit sur le piano soit sur la guitare, les chansons bénéficient d'arrangements synthétiques très soignés (l'excellent et mélancolique "Full Virgo Moon") ou d'apports bien sentis (les violons sur "Forgive my Sins").
Tout commence sur une introduction martiale et crépusculaire ("Intro (A Shadow's Theme)") mais, malgré le caractère cinématographique de cette entrée en matière, avec son drone brumeux, le disque part dans une autre direction. Les rythmes vont disparaître au profit de balades folk. De ce fait, l'énergie du groupe développée à partir de l'album Fear (2014) est laissée de côté pour du songwriting reprenant les thématiques chères au musicien : les luttes entre le bien et le mal, le satanisme, le besoin de rédemption, les amours douloureuses... Le croon de Cowgill est immédiatement reconnaissable sur "My Rose by the Sea (Satyr Boy)" où l'influence de Nick Cave est indéniable. Mais c'est vraiment avec le troisième titre, "Full Virgo Moon", qu'on rentre dans cet univers. Le style est plus onirique, retrouvant même des intonations à la But, What Ends When The Symbols Shatter? de Death in June. Le morceau suivant, "Forty Fives Say Six Six Six", figure aussi parmi les réussites de cet album : un retour au country noir, un peu à la mode de The Handsome Family, avec un chant grave et murmuré qui peut nous remettre en mémoire les meilleurs passages de Burning Daylight (2012). "The Satanic Temple" se fait plus pop, alors que "Forgive My Sins" joue le registre de la complainte, le combo violon/piano renvoyant encore aux collaborations Warren Ellis/Nick Cave mais avec une reverbération de cathédrale sur le chant. "Make me blind" essaie d'apporter un peu de pêche à cet ensemble intimiste, mais la mélodie et le texte sont déclinés en une version très ralentie, voire soporifique ("A funeral Song For Atheists"). La comptine terminale ("Something about you"), avec sa guitare pleine d'échos et ses chants d'oiseaux funestes, en revient à une grande influence du musicien : le travail de Julee Cruise avec David Lynch.
Au final, notre impression est assez mitigée. Il y a clairement de très belles pièces sur ce nouvel opus de King Dude ("Full Virgo Moon", "Forty Fives Say Six Six Six"), mais on en ressort avec un sentiment d'inachevé, peut-être dû au format trop court ou à la construction du disque. Ce retour au son qui l'a fait connaître fera sûrement plaisir à un bon nombre de fans mais il y a aussi une contrepartie : Full Virgo Moon n'offre aucune surprise par rapport à ce qu'on trouvait déjà sur Love (2011). Le talent d'écriture est là, avec des mélodies qui restent dans la tête, mais n'en attend-on pas davantage d'un huitième album ? De plus, les derniers disques avaient fait preuve de beaucoup d'ambition, même si le côté plus rock n'était pas du goût de tout le monde (Sex, Music To Make War To) - et de fait, ce nouvel album peut être vu autant comme un bel objet nostalgique que comme une régression qui n'apporte rien de plus à l'édifice. La tournée européenne, qui a commencé ce 2 mars, sera l'occasion de se faire un avis définitif sur la chose.
