Nous avions laissé Melt en 2021 sur un bord de disque, avec un étrange projet d'EP, All The Joy, All The Pain, disponible sous deux mixes différents. Les chansons et le groupe ne nous avaient jamais quittés, tant par la voix que par les sons et par les compositions étonnamment hors-cadres. Et on avait de leurs nouvelles avec des concerts et des performances. Cette fois-ci, c'est Charlotte / Shiroe qui revient – chant et composition – avec Jux de Melt et un Olivier (auparavant dans les projets Exylem et Orob) qui s'est aussi chargé de l'enregistrement à Dismal Sound, tout en faisant le lien avec Melt, encore en jeu, mais une nouvelle fois en attente d'horizons (ils enregistrent un nouvel EP ce printemps).
Le son est différent : plus cru dans les guitares qui sonnent crues, la batterie a une frappe en partie étouffée, même si les toms ont la profondeur tribale requise ("My Tear's Shades are a Sun"). La voix, elle, captive, étonne, subjugue. Le plaisir des retrouvailles, bien sûr, mais aussi une nouvelle fois la claque par ce talent si singulier ("Sorrow"). J'ai du mal avec la nouvelle scène encensée de chanteuses à découvrir et qui peinent à me convaincre (Sprints, au hasard). Chez Shiroe, c'est immédiat : ça rocaille, ça sent l'enfance, la fragilité mais aussi les dents qui mordent si on essaie de caser dans un registre musical ou un compartiment. Je me lance tout de même : l'album sonne globalement plus death-rock ("The Limbs into the Roots"), mais le vrai, l'originel, celui d'une époque où les clones n'existent pas et dans laquelle 45 Graves ou Super Heroines inventaient en empruntant au punk ("Sour Rose Syrup"), au garage, à l'horror-punk, voire à la new wave, à la batcave. Voici pour le son, qui plaira donc autant aux punks et aux goths de 1979 (une bonne entrée avec le mid-tempo de "Grey Lotus", mis en clip, le son des basses et la voix avec écho sur le morceau caché "I just draw Myself").
Mais en ce qui concerne les compositions, on retrouve cette envie de sortir du rang. Une manière d'écrire qu'on avait dans Shadow Project, mais qui se fait ici plus abordable. Comme si on jouait du rock, tout de même, malgré ces embardées du prog rock avec des riffs longs et des phrases à rallonge qui s'enchaînent, sans jamais perdre leur souffle. On peut même établir un lien avec une scène proto-heavy-metal uchronique (le spectaculaire "My Flame wakes up into the Ashes" à la basse bondissante). Parfois, une superposition de notes claires vient égayer la rigidité des accords ("Moon's Fire" dont le chant rappellera Alison Shaw des Cranes sur ses premiers EPs).
La teneur de l'album est cependant variée, évitant la monotonie, entre les trouvailles vocales et harmoniques et les teintes des morceaux. Ainsi, "My Tear's Shades are a Sun" n'évoque rien de connu, élimine la possibilité des comparaisons car aucune ne fonctionne. La solennité des guitares accompagne mécaniquement une ligne de chant émotionnelle qui va en s'amplifiant alors que les sourds martèlements provoquent une transe. Le groupe tire dans plusieurs sens en même temps, comme s'ils jouaient chacun pour soi, avant de se retrouver pour une conclusion d'abord épique, puis déconstruite sur les dernières mesures. C'est surprenant, réussi. C'est une musique avec ce qu'il faut pour aguicher, mais qui demande ensuite une immersion pour comprendre, dénouer les fils et s'emberlificoter dedans. Pris au piège.
On comprend alors que cette voix, c'est celle d'une prêtresse, d'une banshee sans âge, sans contrée, sans attache, libre et inspirée, luttant avec le vent comme ami, avec les pierres et les vagues, avec les fruits qui tombent et les herbes qui croissent. Une racine solide, autant qu'une feuille à la courte vie. Il faut découvrir et soutenir Koma's Totem.