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Live report
26/09/2019

Kompromat + CORPS

Live @ Electro Alternativ Fest. 2019 (Toulouse)

Evènement : Electro Alternativ Fest.
Lieu : Le Bikini
Date : 2019/09/19
Photographies live : Jesse Overman
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Les soirées du festival Electro Alternativ s'enchaînent un peu trop vite sur cette quinzième édition. Et, pour la ville rose, ce jeudi soir, un concert était en trop : en effet, en même temps qu'étaient invités Rebeka Warrior et Vitalic sous l'étendard Kompromat, l'organisation ambitieuse avait misé sur Kap Bambino et Lysistrata dans la salle du Metronum. Las, le public n'étant pas extensible, la deuxième soirée a dû être annulée sine die.

C'est donc dans un Bikini plutôt bien rempli (600 à 700 personnes dirons-nous) qu'on assiste à deux shows bien ficelés.
CORPS est un duo français ; deux hommes, l'un aux claviers (et au chant doublé sur un titre), l'autre au chant et à la guitare. Si le premier morceau, du fait de l'utilisation de la guitare sonne comme du blues synthétique, le reste du court concert brosse un visage plus complexe. On pense à La Main, aux passages sombres de Serge Teyssot-Gay, puis à une techno zombifiée et malade qui serait le pendant d'un Taxi Girl d'aujourd'hui. En noirs de travail, les deux hommes ne rigolent pas, même s'ils sont heureux d'être sur scène. Le chanteur joue avec son fil de micro, s'étrangle un peu avec, ne tient pas vraiment en place et clame ses histoires de sexe et de déprime (ou de déprime et de sexe) avec un aplomb plein de sensibilité. Un titre annoncé comme "plus hardcore" bouscule le rap à la manière d'un Judah Warsky, en mode minimal techno puis l'orientalisme du tube "Sur l'Autoroute" trouve un bon répondant dans une salle elle aussi contente de les voir. Un peu brouillon encore pour dégager une tonalité d'ensemble, on guettera un album de CORPS à sortir pour profiter davantage d'une ambiance qu'on sent prête à émerger pour de vrai.

Le duo Kompromat est plus qu'attendu. Rebeka est vénérée par une partie du public, encore sous l'emprise libératrice de Sexy Sushi et de la poésie vitriolée de Mansfield.TYA.
Le light-show est efficace et beau, balançant des strobos qui agressent, des rayons qui crépitent sur le corps de la chanteuse lorsqu'elle joue avec et les syllabes du nom du groupe en arrière-plan ne cessent de s'illuminer, de se séparer pour délimiter des espaces scéniques plus étroits.
Dans ces espaces, Rebeka est à son aise : elle joue avec le cadre, avec les grilles lumineuses très années 1980 qui sont projetées tandis que la fumée génère des réminiscences de boîte de nuit. Habillée étroitement, cheveux rasés, lunettes réfléchissantes à la Andrew Eldritch sur les yeux, elle joue une carte virile, entre D.A.F. et les corps des survivants de la Shoah. Scène-prison dont elle sort victorieuse, quand elle le veut. Masculine, elle harangue en des poses travaillées, à peine remuante sur les cinq premiers titres, jouant de l'ombre chinoise et de la froideur comme d'armures, canette de bière à la main pour de rapides gorgées, sécheresse entre les titres, sans temps morts.

La musique est réglée au millimètre, le spectre sonore est profond et l'énergie de Vitalic fait mouche. On est heureux que ces deux se soient associés pour un résultat aussi évident. Après "Niemand", un sourire échappe : celui de l'artiste contente et rassurée (?) de constater que la voie choisie plaît et rassemble. La salle exulte et Rebeka se rapproche désormais du bord de scène. Veste enlevée, elle se déhanche en débardeur noir, dansant au minimum, suggérant et poussant de la voix avec force et féminité hurlante. Douce griffure du chant en allemand... Mutine, elle jouera un titre si on le lui demande en allemand... Dans les premiers rangs, des jeunes femmes ont tombé les T-shirts, seins nus ; un des cameraman s'empresse de voler ces images alors que cela, à mon sens, doit s'inscrire dans l'ambiance, dans l'instant, dans un lâcher-prise qui ne peut souffrir un éventuel partage sur internet. Ce qui se passe en concert reste en concert... Pourquoi interdire dans d'autres lieux aux photographes de faire des photos après le troisième titre si, dans le même temps on accepte que soit filmé un public extatique ? Les seins nus ça se raconte si on le souhaite, ça se vit, mais ça ne se filme pas sans accord... Étrangement, les mecs sont restés avec leur T-shirt. Comme si ce jeu de l'égalitarisme se faisait trop rentre-dedans. De son côté, en ne montrant plus ses « lolos » comme elle les appelle, Rebeka installe une partition autre, dans la maîtrise et le don contrôlé.

Le concert s'est installé : désormais Rebeka passe elle aussi aux claviers et les deux s'amusent entre eux, défigurant et noircissant les trames sonores créées, arrachant la techno et son esprit festif en bandes hurlantes et noise. Les sons et les strobos forcent l'hypnose et la performance de Kompromat éclipse CORPS et sa réussite quelques dizaines de minutes plus tôt. Le moment du rappel est dézingué, à peine les deux se sont-ils pris dans les bras sous les applaudissements qu'elle nous lance : "là normalement c'est le rappel, mais on continue tout de suite, vous êtes d'accord ?" Acceptation sous les vivas et c'est le superbe "De mon Âme à ton Âme" qui nous saisit, avant un final tout BPM dehors.
Kompromat a son identité, forte et écrasante, sa musique est sur des rails, nourrie par les expériences de ses deux protagonistes. Les repères visuels se construisent avec les concerts ; ce sont eux aussi qui fourniront les cadres et bordures d'une expérience à suivre.