Le premier album de Kompromat, sorti en 2019, avait plus que marqué les esprits. En témoignent les dates complètes de la tournée 2025, avant la sortie du deuxième opus. Vitalic revenait grâce à Rebeka Warrior, en laquelle il trouvait une alter-ego pour un duo de choc. Une guerrière qui affichait alors, avec puissance, son goût pour DAF et les vagues d'une electro estampillée années 1980. C'était hargneux et sensuel. La transposition sur scène donnait des concerts à l'abord froid (le physique maigre et crâne rasé de Rebeka conjugué aux paroles en allemand glaçait l'ensemble), avant une montée technophile et rave party intéressante. Depuis, Rebeka a multiplié ses projets, tout en permettant que les uns et les autres se nourrissent et s'influencent.
De cette accumulation naît un premier handicap : pour ce deuxième album estampillé Kompromat, presque six ans plus tard, l'effet de surprise n'y est plus.
Pas grave. Dès "God is on my Side", titre le plus long avec Farah, invitée à compléter le chant, on retrouve ce climat gris-noir, dans lequel l'addition de la langueur et de la mélancolie ont pour somme finale la transe. "Forever", avec Sonia DeVille, est bien méchant également, tempérant sa noirceur par un zest d'acidité lorsque la ligne de crête survient.
Sauf que l'auditeur guette avec la tête sur terre et que, si les titres ont la classe, ils n'ont plus assez d'attaches. Expliquons : le sexuel et groovy "Lift Me up" sonne plus Mansfield.TYA et Sexy Sushi que Kompromat. C'est très bon, mais ça ne cadre pas pour donner une unité. "Très bon" car le texte aux jeux de mots ravageurs est travaillé et qu'on a ce plaisir des vocaux chantés-criés-gémis dont Rebeka s'est fait une spécialité ; la musique prend un coup de fouet sur le final. Plus loin "Playing / Praying" me donne aussi cette sensation d'être du Mansfield.TYA, quand bien même on a ici Vimala Pons et une orchestration plus saccadé façon IDM (une belle partition).
Le problème n'est donc pas dans la qualité du rendu, propre et réfléchi. On a des surprises comme ce break amené avec une progression bien malsaine sur "Playing / Praying" : un long passage déconnecté, qui a la force que s'était donné Portishead au moment de leur album sobrement intitulé 3, quand il fallait casser une image trop collante. Les compositions de ce Kompromat sont toutes singulières et sans perte de qualité, à l'image du turbulent "No Stranger to Heartbreak" agaçant et vitalisant comme un manège de fête foraine (futur tube ?).
Non, ce qui achoppe pour moi, c'est la vision d'ensemble.
Les featurings explosent encore plus le duo.
Je comprends l'envie de se frotter aux autres, d'innover, de repousser ses limites : c'est chose faite et Rebeka est désormais entourée, fonctionne en mode tribal. Mais un album, c'est un tout, un voyage dans une contrée et une réponse au précédent sous le même nom. Lorsque "Only in your Arms" avec Vimala Pons et Sonia DeVille débarque, il fait retomber ce qui le précédait. Il faut un temps d'adaptation pour se plonger dans une autre ambiance. Là encore, le travail vocal est formidable, magnifiant chacune des deux voix (captation maison, mixage de Stéphane Alf Briat) alors que des cloches synthétiques enveloppent le propos. C'est vraiment beau.
Sexe et passion encore dans le duo avec Rahim Redcar : Rebeka et l'artiste aux costumes variés avaient partagé à quelques minutes d'écart la scène du Central Tour d'Indochine. Leur duo se fait plus electro-variété, comme un tube d'il y a quarante ans, mais dopé aux basses contemporaines (le son du synthé qui lance le titre est juste parfait). Un chouia de Desireless dans le chant, pour cette capacité à plonger dans la chaleur du blues, Rahim poussant la voix en un rythme dansant et retenu à la fois (mais la nasalisation, ça ne me convainc pas). Les paroles sont gentiment sexuelles, tout comme sur "Lift Me up". Le titre se révèle vite addictif, il est conçu ainsi.
On a donc une succession de titres, parfois mal rassemblés, et pour lesquels le duo de base s'efface en partie. L'album aurait pu sortir sous un autre nom de projet (Rebeka et Vitalic invitent ?), mon regard aurait été différent. Il reste que sous ce format, et avec une tournée à guichets fermés, ce qui semble se profiler, c'est bien une fête entre gens de bons goûts, bourrée d'invités prêts à utiliser chaque minute de ce disque pour varier les ambiances.