Krav Boca sont la nouvelle génération de punks et rappeurs, métissant l'énergie rude des deux genres avec une touche grecque. Sur l'introduction de ce long EP surgit un court passage mélodique en mandoline sur fond de parasitages et bruits variés : c'est l'alarme atemporelle qui résonne. "Gas Mask" imposera un peu plus loin le style le plus identifiable du groupe : une sorte de rap des "sans voix", des témoins qui ne peuvent plus se taire et sortent parler, crier, hurler pour vivre et non pas survivre.
Ce disque, les Krav Boca l'ont composé pendant les derniers mois de mobilisations, pour donner corps aux plus de soixante-dix concerts donnés en 2019, le plus souvent à l'arrache et en soutien aux mobilisations européennes et toulousaines (leur ville d'attache). Leur pote Momo Tus avait peint le personnage couvert d'un masque à gaz (lacrymo...) et voici que la Covid-19 éclaire ça différemment. Le 1er mai, le collectif décide alors de sortir City Hackers en téléchargement libre pour la commémoration de la révolte (puis du massacre) des ouvriers à Haymarket Sobsquare début mai 1886 (c'est ça la source occultée de notre Journée Internationale des Travailleurs).
Engagés et enragés, Krav Boca s'appuient sur la street credibility et les featurings pour installer leur malaise et leur indignation. Du punk, ils ont retenu la face la plus noire (voir les titres disséminés ici et là sur leur déjà large discographie : Marée Noire, Sanatorium). Du rap, ils ont le goût de la castagne, de la rébellion, de l'expression des quartiers populaires et des vidéos coup de poing. Ainsi, la rapidité de la tchatche de Chata Flores inonde "Souterrain", assurément un futur moment de panique dans le pit lors des prochains concerts, en squat ou festival. "Poison" multiplie la verve et les rimes adroites, servant la belle voix fière et sensible de l'invitée Zafina.
C'est indiqué sur leur bandcamp : le disque est dédié au "personnel soignant, aux caissier·es, postier·es, routier·es, livreur·euses, éboueur·euses, Gilets Jaunes et à toutes les personnes en première ligne, à celles qui luttent et qui prennent des risques."
Leur fusion (osons ressortir le nom) rappelle les bonnes heures du split Lofofora – Kabal. Toutefois, profondément insaisissable, le groupe-combo n'hésite pas à rugir en mode punk hardcore ("Kravmikaz", le plus déjanté et sorti de route "Camtar"). La tonalité ici est à la colère, voire à l'émeute, servie par des textes lucides et bien écrits, évitant les poncifs d'une langue trop crue. Les riffs se font de plus en plus violents avec le défilement des titres ("Crust Riot" porte son nom à merveille). La teneur en guitares heavy permet des variations, comme sur "Carte postale" qui conjugue la hargne des cordes avec la lourdeur pessimiste des claviers et samples. La grande diversité des prises de parole, des instruments et des enjeux mélodiques et rythmiques fait de ce court disque une carte de visite et un hommage régénérant à ceux qui se dressent et refusent.
"Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui." (August Spies)