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Live report
28/09/2021

Krav Boca

Live @ Fifigrot Fest 2021

Évènement : Fifigrot | Festival du film grolandais
Lieu : Toulouse (31)
Date : 2021/09/25
Photographies : Jesse Overman
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Krav Boca marquait d'une date toulousaine la fin de sa tournée de reprise des concerts. Ces militants activistes musiciens ont montré leur troupe dans douze pays durant trois semaines : la Grèce (dont est originaire une partie de la tribu), la Pologne, la Hongrie, la Slovénie, la Suisse, l'Allemagne, la France... Mais c'est à Toulouse qu'un gros public attend de cœur ferme le retour des locaux (une autre partie du gang est de Colomiers) à grand renfort de crêtes, de dreads, de déguisements, de T-shirts à trous et même avec le drapeau d'un club de foot marocain, le Raja Cluc Athletic (le combo a aussi des racines au Maroc).

Trois-cents à quatre-cents agités - fans die-hard qui connaissent par cœur les titres et novices attirés par la réputation - font face à une scène un peu sous-dimensionnée pour la raïa. C'est que Krav Boca se pointe en cloture (ou presque) de l'excellent festival de Groland, le Fifigrot, au port de Viguerie à Toulouse.

Le show démarre avec la musique en reine : guitare, batterie  et mandoline. C'est "Intro", extrait de City Hackers, qui lance le bal. Avec émotion, je constate que le dernier concert auquel j'avais assisté c'était ces mêmes punk-hip-hopers-ethno-anarchistes qui se produisaient au Moun's et que, pour la reprise d’une vie nocturne chargée en décibels, c'est avec eux que j'ai choisi de replonger.

Que dire ? La bousculade est immédiate. Les "spect-acteurs" dansent sur le côté de la scène protégé par des barrières, se précipitent et se serrent pour être le plus proches de la scène, sautillent en entraînant les autres, tant on est serrés. Contrôle du passe sanitaire à l'entrée, concert en plein air, envie d'oublier et de revenir à un avant fraternel, ça se bouscule dans la sueur et les odeurs de corps. Eh bien... en vrai, ça fait du bien.

Sur scène, le spectacle débute par des élans solidaires : les trois instruments se travaillent aux corps. Les looks sont étudiés, guitariste en T-shirt crop-top rayé noir et blanc, cheveux décolorés en blond à la Lucrate Milk, mandoliniste double-face avec un œil obturé par un gros pansement marqué de la croix noire des straight-edge. Lorsque le reste de la compagnie se presse sur le petit plateau, le spectacle est total. L'homme-feu se dépouille de son masque SM et du latex dégueulasse qui l'enrobait, couche par couche, ça se bouscule en robe et en jogging. On pense fatalement aux Bérurier Noir de la fin, lorsque François et Loran donnaient à voir la bande de potes, toujours plus étoffée. Cependant Krav Boca ne font pas un cirque ou une fête joyeuse : les maquillages sont sombres, déroutants pour beaucoup de gentilles personnes du public, que cela effraie même un peu. Leurs cagoules sont étirées, tournées sur le côté, révélant des faux visages d'éclopés. Si vous y voyez un lien avec les éborgnés des manifestations, les gueules cassées des conflits armés, nul doute que vous êtes sur une bonne piste.

On entend mal les paroles, même lorsque le voisin les beugle à tue-tête, mais on reconnaît les morceaux. On "chourave" encore dans les magasins, on se compresse dans le "Camtar", on danse "Fumigène" et on slame "Brasero". Les titres sont des hymnes, fédérateurs, la répartition du chant échappe au contrôle : tous sur scène sont dans la communion et braillent pour que les aveugles puissent voir. On joue comme on se dresse face aux injustices.

Le set est court, nerveux, dénonciateur et amical en même temps. La Toulouse antifasciste, militante est en partie présente mais après les galères de cette tournée, il fait bon être dans un contexte plus hétérogène. Le public est varié, des jeunes et des vieux, des valides et des handicapés, des visages de toutes les couleurs, des langues internationales. On sent qu'il y a là des personnes qui sont venues au Fifigrot, techniciens, comédiens, curieux, et qui profitent de cette occasion de faire la fête, de se défouler. Lorsque, après la reprise traditionnelle du "Salut à Toi", le groupe quitte la scène (un show d'une belle heure), le public reste sur place scandant les hymnes des manifestations : antifascisme et rejet de l'État policier ; puis la console balance du Moscow Death Brigade, du Tagada Jones ou encore le "Nation to Nation" de Punish Yourself. Les gens dansent encore, se croisent, se sourient, se pressent l'épaule au passage, se frôlent, échangent des verres ou des pots de miel. Avec son mélange musical véritablement singulier (on reconnaît aisément la patte du groupe), Krav Boca garde le meilleur du punk, du metal (quels riffs parfois !), du folklore, du rap. On regrette l'absence des featurings – féminins notamment – et la projection des clips donnerait aussi à apprécier sur grand écran les beaux films réalisés ces derniers mois.

Longue vie aux pirates : ils bousculent sans méchanceté les codes établis. Leur travail vise à une internationalisation, un métissage qui agglomère en gardant leur dignité aux éléments retenus. C'est une culture du monde qui lutte. Si être progressiste consiste à lancer des pavés et qu'être anarchiste consiste à les envoyer le plus loin possible, on saisit que Krav Boca enverra ses chansons au bout du monde.

Le lendemain, nous assistions à la troisième projection du film de François Ruffin, Debout Les Femmes, à l'American Cosmograph. Salle quasi comble, larmes partagées et sens aigu de la Justice et des combats nécessaires. Quelques heures plus tard, ce documentaire de Gilles Perret et Ruffin recevait l'Amphore du Peuple – Prix Tisséo. Tout est lié.