Ciselé. Travail d'orfèvre. Lorsqu'on lit et qu'on est poussé à relire à peine la dernière ligne franchie une nouvelle, c'est qu'on est sur du bon boulot. Ce plaisir de la surprise finale, du mécanisme mis en branle pour épater le lecteur, le forcer à chercher comment tout ça fonctionne, c'est typiquement la grande réussite de cette fin XIXème siècle.
Il est donc tout à fait naturel que l'artisan Léon Bloy trouve sa place chez Lenka Lente. C'est la première des deux nouvelles ("Tout ce que tu voudras") qui m'a le plus marqué. Bien sûr, on a cette culpabilité d'avoir lu trop vite et de n'avoir pas vu ce qui s'étalait. Mais, ce n'est pas non plus la faute de la précipitation. L'atmosphère nocturne qui se développe et prend à la gorge, alors que le narrateur est accompagné d'une "vieille pute", passez-moi l'expression, dans un vilain quartier, a aussi de quoi tirer l'œil et les sens ailleurs. Une prestidigitation que la composition de Nurse With Wound accompagne parfaitement. C'est sombre, cinématographique, on sent la légère brume et les immondices qui collent sous les semelles tandis que des créatures furètent le long des murs et que le monde interlope dresse son mur de désespérés, justement sur la route que nous devions emprunter pour rentrer chez nous et... éviter les histoires.
La gentillesse, la douceur, le conte de fées sont au-dessus de nous, dans des tintements de cloche qui s'allument comme des lanternes pour nous guider, à moins que ce ne soit des phares dans la nuit, pour nous éviter l'échouage. Mais déjà j'en dis trop.
Passons à "La Fève", moins étonnante car toute entière guidée vers sa résolution. L'effet est alors inverse car on sait ce qui va se produire et on se demande si Bloy va oser aller jusque là. On n'en frémit pas, non, plus d'un siècle a passé et il a drainé son lot de psychopathes et de criminels aux vengeances implacables, morbides et détestables. On se repaît donc de ce festin annoncé, dans lequel la Clémentine aura toute sa place. Il est plus difficile d'y joindre la pièce unique de Nurse With Wound. Pour ma part, je la débuterais vers les neuf minutes, à un peu plus de sa moitié, lorsque je vois à la fois les préparatifs d'une table bien mise et les agitations d'un cerveau à la moëlle atteinte par la jalousie. Tout ça fusionne, se déplace avec la lenteur des calculs sinistres et des mauvaises choses. Alors oui, l'ambiance musicale colle avec ce dénouement qui reste en travers de la gorge.
Les illustrations choisies, magnifiques, amènent à découvrir la danseuse Mary Wigman, qui propose des fantômes en mouvement ou terriblement statiques, attendant notre faux pas pour se précipiter.
Revenons à l'écriture de ces deux nouvelles, initialement parues dans le recueil Histoires désobligeantes (1894) : il y a une jouissance des phrases bien faites, du lexique employé à juste titre, le bon mot au bon endroit pour faire sens et agiter le lecteur. Bloy est plus aisé que celui qui fut son ami et mentor, Jules Barbey d'Aurevilly (plus jeune aussi), plus direct et plus cynique certainement.
Ce livre, cet auteur, cette danseuse et ce musicien intègrent encore la collection Lenka lente pour les amoureux des belles choses.