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Album
19/04/2025

La Machine

Contrôle Total

Label : BOREDOMproduct
Genre : chansons synthpop acerbes
Date de sortie : 2025/04/25
Note : 80%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

La Machine réussit un tour de force : celui de donner corps et âme à une chanson française (textes bien écrits) combinée à une exigence musicale qui cherche la ritournelle et la trouve souvent. C'est ce serpent de mer de la pop française, en lieu et place de la variété, on en a déjà parlé avec eux. Eux ? L'équipe qui gravite dans et autour de BOREDOMproduct.

Cet album qui (en format vinyle) se trouve rangé chez moi entre Marie LAF-orêt et Bernard LAV-illiers*, cumule les tubes, mais s'amuse à les pervertir. "Réacteur 4" a une mélancolie bien trop forte pour songer à l'Eurovision. "La Machine (qui ne sert à rien)" a aussi des paroles terrifiantes pour nos ondes et nos cerveaux entre deux feux. "F.F.P.2" se voit ponctué de dissonances incompatibles avec la légèreté attendue. Il reste "Invasion humanoïde" qui pourrait (le conditionnel est de rigueur) accrocher les charts : c'est un mélange de plein de choses, du Oil 10, du Front 242 des débuts, du Etienne Daho, du Celluloide... et pourtant tellement unique. J'adorerais l'entendre dans une grande surface !

Je me rends compte que je peux reconnaître ce groupe, en quelques dizaines de secondes. Une exception peut-être : "Machineville" démarre très Position Parallèle (Pierre Pi est de la partie), avec un bon fond Kraftwerk, puis accroît sa pop et sa douceur.

La douceur, justement, c'est un des angles de ce disque : la voix d'Eric U0 est juste... magnifique. Belle et suave sur "Voyageurs électriques", elle sait aussi prendre des teintes différents pour créer une diversité dans un disque homogène. Cette caresse (sur "Sutures") s'oppose au malaise des paroles, faisant de ce groupe un parfait exemple de dissociation fond et forme. C'est très fort car cette approche antithétique distille un déséquilibre constant.

Les reprises (que trois sur dix titres, je m'attendais à plus) sont dans cette optique, on l'a déjà mentionné. La noirceur perce dans cette réactivation de "tubes du grenier" avec des paroles qui se font bien plus sinistres, qu'on lit mieux grâce à la musique, comme un rétrofuturisme gâché sous notre regard actuel : oui, le monde a merdé.

Cette douceur n'est pas constante, on aime aussi la capacité des instrumentations à se libérer d'un cadre unique et chacun des dix titres a sa personnalité : l'EBM convoquée à petite dose sur "Sextape", les claviers presque hard FM de "Scalpel" en ralentis étouffants. Quelques samples soudain prolongent la musique, sur "Sutures" encore (qu'on associe à Frankenstein, à La Peau que j'habite, mais où la créature cherche elle-même la perfection) ou sur "Réacteur 4".

Les constats sont implacables, bien écrits ; une mise en scène de nos travers avec un dernier regard empathique sur les pauvres humanoïdes que nous sommes.

Il faut, pour s'éloigner du malaise et adopter une distance philosophique, prendre cela avec dérision et second degré, ce que les visuels et la communication s'empressent de faire. 

Le monde va mal ? Autant en rire. Desproges aurait adoré danser sur La Machine.


* en CD, chez moi, La Machine côtoie Laibach et La Main.