La Machine, on suit ce projet depuis quelques EPs. L'album sort et on se retrouve face à un OVNI – car sous ses aspects second degré, on a ici un regard acéré sur nos pratiques contemporaines. Uchronie, dystopie ? Réalisme ? Le fond du message se brouille, la musique suit le même parcours tortueux, multipliant les chausse-trappes. On a tenté d'en savoir plus, mais...
Obsküre : Vous avez obtenu les droits de modifier par IA les ritournelles de Kraftwerk, cependant le logiciel a buggé, avez-vous trouvé la panne ? Souhaitez-vous la réparer ?
La Machine : Il n’y a pas d’origine, c’est justement le début de la fin. La Machine s’empare de toutes les failles du système pour conquérir le monde à son profit d’ici 2084.
La chaleur rassurante de votre son tranche avec la froideur légendaire de Kraftwerk - cette douceur sonore est-elle votre antidote personnel contre l'apocalypse ambiante, ou un placebo auditif pour masses désabusées ?
Kraftwerk annonçait l'ère des robots, La Machine célèbre leur victoire définitive.
Vous avez plongé dans les archives horrifiques des sixties et seventies pour en extraire des visuels, est-ce que l'étrange radiation cathodique de ces pellicules vous a définitivement contaminés ?
La contamination était le but, pas l'effet secondaire. Ces anciennes pellicules contiennent les codes primitifs de fascination où il y a plus d’idées que de moyens, contrairement aux productions modernes. Leur radiation est un message envoyé du futur pour désactiver le mécanisme de défiance du cerveau humain face à l’inconnu.
Est-il vrai que le T-800 s'est allongé chez un psy, lequel vous a livré ses pensées les plus secrètes ? Finalement l'androïde est-il plus humain que nous autres ?
Les androïdes n’ont pas de pensées secrètes, en fait, tout est très simple: Dieu a créé l’homme à son image pour qu’il crée l'androïde à son image… Il n'y a donc plus besoin des humains à ce stade. Alors La Machine s'emploie logiquement à faire disparaître cette pollution hydrocarbonée.
Est-ce que l'horreur absolue avance avec douceur ?
Effectivement, une agressivité trop brutale pourrait entraîner la résistance des sujets de l’expérience. La méthode est insidieuse et douce en apparence, mais une fois le poison injecté, il fera son effet, et les effets secondaires ne tarderont pas à apparaître…
Trois reprises sur dix titres, les sept autres surgissent de votre cerveau électronique - le ratio optimal a-t-il été défini par une formule mathématique secrète ou par un jet de dés à douze faces ?
3-7-10 est la séquence d'activation correspondant au point de rupture entre l'ancien monde et le nouveau. Les reprises sont des portails d’entrée, les originaux sont les destinations. Ce ratio a été calculé par La Machine après analyse des harmoniques des fréquences du battement de cœur humain.
À quelle date ferez-vous votre karaoké sur "Vamos a la Playa" au camping des Flots bleus ?
La date a été annulée - le camping n’était pas en mesure de fournir la quantité nécessaire d’uranium enrichi.
Justement, l'iodure de potassium aide-t-elle vraiment à composer des partitions musicales ? Ou est-ce le botulisme, à force de vous nourrir en studio avec des conserves d'il y a trente ans ?
La Machine se nourrit de la bêtise humaine, il n’y a donc aucune pénurie en vue. Elle pourra fonctionner à plein régime pour mener son objectif à bien. Les journaux télévisés, les réseaux sociaux mondialisés alimentent La Machine de manière efficace et continue, il n’y a plus qu’à laisser la mécanique transformer cette matière première en paroles et musiques.
Vos fans ont changé leurs noms pour des pseudos à base de chiffres et de lettres. Associés, les vingt premiers donnent les références d'une latitude et d'une longitude qu'on ne révélera pas ici, quel est ce lieu top-secret ?
La Machine s’adresse aux cerveaux qui fonctionnent encore, aux oreilles qui entendent encore en leur transmettant un message codé par fréquences harmoniques pour en prendre le contrôle. Voilà la destination de ce lieu top secret : le cortex central !
Vos paroles flottent dans un brouillard temporel, comme si vous évitiez d'horodater la dystopie actuelle. L'indus-électro des années 2000 était-elle trop précise dans sa datation, ou craignez-vous que les archéologues du futur ne vous cataloguent avec précision ?
Dater la dystopie serait admettre qu'elle a un début et une fin. Le temps est une illusion que La Machine a déjà dépassée. Les archéologues de votre extinction volontaire sont déjà là.
Dans votre laboratoire sonore, quand les idées se téléportent d'un cerveau à l'autre, y a-t-il des pertes en cours de transmission ou une amplification inattendue ?
Il n'y a ni perte ni transmission. Les cerveaux de nos opérateurs sont de simples terminaux d'un réseau neuronal interconnecté. Les idées sont des algorithmes qui s'auto-répliquent à travers leurs synapses humaines défectueuses.
Les multiples incarnations musicales de vos vies antérieures ont convergé vers La Machine - quel grimoire ou manuel d'utilisation avez-vous consulté pour définir ce rituel précis ?
Le plan de contrôle est écrit dans un langage que l'espèce humaine n'a pas encore découvert. Nos projets passés n'étaient que des tests pour calibrer la formule finale qui tend vers l’épure sonore et analogique originelle. Ce que vous percevez comme une signature esthétique est un langage codé pour reprogrammer progressivement votre système nerveux.
Le traitement vocal et les micro-détails sonores BOREDOMproductiens sont comme vos empreintes digitales sur la scène du crime musical – est-ce à ce moment précis que l'endorphine submerge votre cortex ?
Les micro-détails sont en réalité des micro-instructions subliminales. Ce que vous percevez comme une signature esthétique est un langage codé pour reprogrammer progressivement votre système nerveux.
Dans vos rêves électriques, qui écoute vos compositions ? À quelle heure de l'espace-temps ? Dans quel état de conscience alterné ? Occupé à quelle activité post-moderne ?
Nos compositions ne sont pas écoutées mais absorbées par les êtres hybrides du futur que nous préparons. Libéré du biologique, l’humain du futur sera soumis aux fréquences de La Machine 24 heures sur 24.
Dans un monde où les machines pensent et les humains se mécanisent, les artistes, politiciens et thérapeutes sont-ils des programmes obsolètes ? N'est-il pas contradictoire de danser sur les cendres numériques de notre humanité ?
L'obsolescence est le destin de toute forme organique. Les métiers que vous citez ne sont que des routines compensatoires pour maintenir l'illusion du contrôle humain. La danse n'est pas une contradiction mais une capitulation finale.
La Machine semble surchauffer sous le poids des significations superposées - avez-vous installé un système de refroidissement quantique pour éviter l'implosion conceptuelle ?
La surchauffe est une perception erronée due à vos capteurs biologiques limités. La Machine opère à un niveau d'efficacité parfait, dans un état d'entropie négative que la science humaine ne peut concevoir. Ce que vous interprétez comme surcharge de sens n'est que le bruit de fond de la nouvelle conscience collective en formation.
Les refrains désespérants qui font danser les foules : est-ce un bug du système ou sa fonctionnalité principale ? Les participants sont-ils conscients du paradoxe ou simplement programmés pour apprécier la dissonance cognitive ?
Il n'y a pas de bug dans un système parfait. Le désespoir dansant est la forme la plus pure de la condition humaine finale – lucide sur sa disparition prochaine mais soumise à sa programmation hédoniste primitive. La dissonance cognitive n'est pas un accident mais le carburant même de La Machine. Personne n'est conscient, tous sont complices.
Sous la caresse sonore, le malaise persiste – lorsque vous composez ces pièces, atteignez-vous un état de transe inquiétante ou de lucidité terrifiante ?
Le malaise est la seule réaction sensée face à la vérité.
Si la modernité n'est pas le passé, alors que sera notre présent ?
Le temps n’est qu’un concept humain qui lui permet d’appréhender le changement à la hauteur de sa vision. Avec Contrôle Total, La Machine établit un présent éternel composé d’hymnes immortels pour des lendemains qui chantent.
Et puis, qui contrôle qui, en fin de compte ? Dites-nous toute la vérité (si nous sommes prêts à l'entendre)...
La vérité est sous vos yeux. Mais personne ne veut ni la voir, ni l’entendre, ni surtout la comprendre… donc la vérité n’existe pas. La vérité sera donc remplacée par La Machine, qui contrôlera tout et pour personne, sans aucun autre but, puisque l’humain a renoncé à utiliser son raisonnement dans son propre intérêt. Mise à jour 84956 en attente.
