Ce disque a tourné en boucle sur nos lecteurs ces dernières semaines, et pour cause : il s'agit d'une des meilleures compilations qu'on ait pu entendre depuis longtemps. Après La Contra Ola qui s'intéressait à la scène post-punk et new wave espagnole, le directeur artistique et chercheur Loïc Diaz Ronda a décidé cette fois-ci de mettre en avant un autre aspect de la scène cassette ibérique des années 1980 : les expérimentations électroniques ambient. En effet, sur ces bandes, on trouvait toujours à la fin des titres plus calmes et immersifs, amenant les sonorités post-industrielles vers des paysages parfois exotiques. En France, on pouvait sentir le même phénomène avec des formations comme Vox Populi!, Désaccord Majeur et bien d'autres. Mais pour la première fois, un disque se propose de rendre hommage à ces bidouilleurs lo-fi, adeptes du do it yourself, et qui, avec un matériau rudimentaire, arrivaient à évoquer des espaces de rêves.
L'accent est donc mis ici, à travers une vingtaine de morceaux et une douzaine de projets, sur ceux qui sont allés piocher dans des cultures extra occidentales pour créer des voyages auditifs uniques qui n'ont, finalement, quasiment pas vieilli. De la mélancolie hallucinée de Miguel A. Ruiz à la beauté minimale de Victor Nubla, le travail sur la boucle et son pouvoir hypnotique est prédominant. Luis Delgado et Suso Saiz explorent, quant à eux, plus le pouvoir enivrant du drone, créant une sorte de psychédélisme ultra épuré qui se prête forcément à l'accompagnement de substances psychotropes.
Mais si Esplendor Geométrico ou Victor Nubla (Macromassa) sont connus des amateurs, toutes les autres formations relèvent plus de la découverte tant elles ont œuvré dans l'underground. Parmi les perles rassemblées ici, on pourrait citer "Malagueñas 2" de Javier Segura, superbe dark ambient maritime digne des meilleurs Troum ou encore "Adjudicado a la danza" de Camino al Desván, où l'onirisme flippant à base de boucles de violon et de synthés analogiques rappelle forcément l'univers de Hermann Kopp. Le mélange de traitements électroniques et d'instruments folk est encore plus poussé chez Finis Africae, touchant à une certaine forme de surréalisme que pouvaient parfois atteindre les formations post-industrielles. Esplendor Geométrico sont, quant à eux, devenus un peu des références dans la combinaison de mécaniques répétitives avec des samples orientaux. Et on appréciera aussi le côté très bricolé et artisanal de Mataparda et Orféón Gagarin.
Dans tous les cas, nous sommes très loin du new age ici. Les sources sont plus à trouver dans les courants cosmiques allemands des années 1970, dans les albums solo de Brian Eno et bien sûr dans les hybridations nées de la scène cassette, où il arrivait souvent que des sons tribaux puissent rencontrer la froideur des bruitages urbains. Cela dit, la compilation dépasse le document historique pour proposer une immersion dans un monde spectral et étrange, où l'imagination peut se laisser aller sans limites. Car derrière l'aspect contemplatif, il y a aussi quelque chose d'assez farfelu et libre qui se dégage, et qui rend le tout d'autant plus appréciable.