C'est un report difficile à mettre en ligne, et qui ne vaut que pour la soirée de clôture (la Semaine Sainte s'est déroulée dans plusieurs villes, sur plusieurs jours : outre Toulouse, Marseille, Paris, Rennes, Bordeaux, Lyon, le tout du 31/10 au 09/11 - un travail de titan !). Il ne doit surtout pas être vu comme portant un regard sur le festival dans sa totalité, dont nous saluerons encore et toujours l'effort. Néanmoins, nombre de points négatifs sont soulignés ici sur la clôture, et des questions se posent. La tournure, non polémique, nous semblait prometteuse en termes d'échanges, de ressentis et de façon de voir les vérités d'une soirée difficile à mettre en place. Nous aurions aimé associer les points de vue, ça ne s'est pas fait. Nous pensons toutefois que des enseignements peuvent être tirés de ces impressions personnelles et que la création et la prolongation de tels événements nécessite un regard le plus complet possible sur des manques et des attentes.
Et voilà ! Clôture de ce festival que nous avons soutenu avec Obsküre, mais que je n'aurai suivi que de loin, habitant à quelques cent kilomètres de Toulouse. J'avais donc jeté mon dévolu sur la soirée du samedi, l'apothéose, les autres dates en semaine m'empêchant désormais de travailler normalement le lendemain matin.
La première partie se tient au Ravelin, et pour ce bar de quartier bien alternatif, la capacité d'accueil de soixante, soixante-dix personnes se trouve bien remplie. Ça déborde sur le trottoir et il ne reste qu'un espace sur le côté de la scène, en allant aux toilettes. Ambiance bon enfant, son excellent assuré par un technicien au sweat Tu veux voir mon beat ? qui me fait sourire. Public content d'y être.
Parking Dance officie dans un registre à la Jessica 93. Il le revendique lui-même sur son dernier disque en date, avec le titre "Jess93smthng". Moins ouvertement noise et noir, il garde un rock hypnotique et rêveur, des mélodies émouvantes, détenant une pointe de nostalgie ; et avec son contenu de violence rentrée, sur scène, la performance est efficace, soignée.
Avec Catalogue, l'adhésion est immédiate : on a affaire à un trio qui sait ce qu'il fait. Deux guitares, une basse, des sons pour la rythmique et les ajouts de pistes (saxophone, claviers) sur lesquels les musiciens se calent en live malgré quelques incertitudes techniques liées à la prise de risques de la partition qui se déroule sans temps morts. Une guitare file des pointes acides à la Big Black, la basse virevolte en mode new wave noise, comme du temps de Virago et Sloy. La voix féminine joue de plusieurs registres, ressuscitant parfois Drive Blind. Ce n'est pas frais dans la forme, ni dans l'intention, mais la mise en œuvre et les arrangements donnent un visage singulier. Le contact entre eux est sensible, ils aiment être là et cette petite scène devant un public qui communie, ça leur va très bien. Le jour où de plus grosses scènes seront à investir, il faudra un sursaut d'énergie dans le placement au sol et une plus grande liberté dans l'interprétation, ce que permet difficilement un format trop enregistré. Un mauvais point au final : alors qu'on leur annonce qu'il reste trois minutes de jeu possible, le groupe renonce. Pourquoi pas, évidemment, mais c'est bien une des rares fois où un groupe choisit de ne pas prolonger... Ce sera cependant mon gros coup de cœur de ma soirée.
Entre la fin du double concert au Ravelin (quartier Saint-Cyprien) et la soirée au Connexion Live (quartier Saint-Aubin), on a du temps à tuer. Repas rapide, puis attente dans la salle semi-couverte (ou terrasse ouverte ?) du Connexion Live.
Bon, pas vraiment mon genre ce club. Des pubs télévisées annoncent une programmation où tout se mélange dans un chaos post-culturel. Au Champ Des Morts côtoie une soirée karaoké, du blues et de l'afro-house, une soirée de Hits-radio est catapultée contre du Bootyshake (Mamelle Bent !) et de la pop-folk variété avec M.A.N. emballe un set acoustique... Je pense aux Hard-Rock Café et autres Planet Hollywood : des lieux qui ont la couleur des salles de concert, l'allure des clubs, mais qui sont davantage des lieux jouant la coolitude pour capter un public grand. Simple business : toute la différence avec le Rex qui travaille vraiment la musique et avait accueilli la soirée de la veille (Cult, Death In Rome, Cørde…).
Les portes ne s'ouvrent qu'avec pas mal de retard car une autre soirée a eu lieu, celle du label post-rock Elusive Sound. Ce lieu rentabilise sa salle : deux locations en un samedi. L'association organisatrice récupère-t-elle les ventes de boissons dans le club et le forfait du vestiaire ? Dehors, le public est majoritairement étudiant, pas grand monde ne semble venu pour la soirée lorsque nous attendons entre 23h00 et minuit. Il fait froid, on se réchauffe, mais deux mondes ne se rencontrent pas. Ça parle très fort, du football américain remplace le rugby sur l'écran géant pendant que les tournées de bières, shots et mojito à partir de 9 € se succèdent sur les bidons métalliques qui servent de tables de bar. Les toilettes sont dans le club, ce qui oblige les videurs du sas à ouvrir, fermer, surveiller ; le sas est géré avec des petites lumières rouge et verte.
La critique est longue et ne concerne absolument pas l’organisateur, Laurent, ou les artistes. C'est bien le choix du lieu qui me chagrine et entraînera la suite de mon ressenti. Puisque plusieurs acteurs de nos scènes travaillent avec ce lieu, c'est qu'il y a un vrai attrait ; je ne l'ai pas perçu.
Lorsque nous entrons enfin, le premier DJ passe "Assimilate" de Skinny Puppy. Ça va bien avec la salle, ses grilles, son balcon-mezzanine. Le vestiaire est obligatoire, à deux euros le cintre. Pas le droit de garder son sac ou sa grosse veste, et un panneau indique que la direction "n'est pas responsable du contenu des sacs déposés au vestiaire"... Une manière comme une autre de créer du lien avec le visiteur. A la réflexion, il faudrait réussir à peser pour créer un statut entre les salles à la limite du squat comme Les Pavillons Sauvages et les lieux gérés par la municipalité comme Le Métronum. (On n'a pas ce genre de problématique avec les cinémas Art et Essai : ils jouent le jeu des petits invités et des soirées ouvertes.)
Pendant ces réflexions, le mix s'étire, pas mauvais du tout dans les ajouts de sonorités qu'il propose et les jeux en direct avec la musique passée ; ce sont les choix esthétiques de Creepy Scratch qui me dérangent... Manson, Ministry, Prodigy, après le Skinny Puppy : en quelques minutes, la playlist fédératrice nous fait prendre vingt-cinq ans et reste sur de l'international grand public. En tant que spectateur-danseur potentiel, j'attendais de la surprise, des découvertes, le Grand Frisson de l'Inconnu. Je m'attendais à de l'actuel et à la mise en avant des nouvelles scènes. Creepy Scratch connaît mieux son métier que moi et il s'est adapté en faisant un cours sur les heures glorieuses de la décennie 1990-2000.
Suit Sololust, et là, je bascule dans le regret. L'heure continue à tourner et nous avons droit à un musicien-chanteur derrière une table bâchée et ses machines. Je ne le vois donc qu'en plan poitrine. Il est sur le côté de la scène, éclairé et il chante. Je n'arrive pas à me motiver pour rejoindre les quatre danseurs peu extatiques devant la scène. Un verre de vin pour me redonner des forces ? Ah non : le vin, c'est le comptoir dehors. Bon… Ce n'est pas mauvais, j'avais écouté Sololust et même accroché à un titre tel que "Total Loss", d'ailleurs intégré à une de mes compilations-maison Nocturnes. Mais à voir en live ? Plein de groupes ou de projets ne vont pas sur scène. Si on le fait, c'est parce qu'il y aura une autre dimension, non ?
C'est ensuite Buzz Kull [photo ci-dessus] qui prend le relais, de l'autre côté de la scène. Mais pourquoi pas l'artiste en face, au milieu ? C'est tout de même révélateur d'un positionnement incertain : concert ou club ? Soirée ou performance ? Le son est meilleur, les mélodies avec leurs résurgences EBM fascinent mieux, mais il est désormais 2h00 du mat' et la fatigue s'accumule. J'en attendais trop. Je commence à me prendre pour un mauvais rôle de Jean-Pierre Bacri, les copains me disent de rester... Je tergiverse : je pense à la route, au prix des boissons nécessaires pour tenir et redonner un tantinet de l'adrénaline qui me manque pour tenir jusqu'au mix de Pedro (HIV+). Je choisis finalement de rentrer. Si j'avais été dans l'action toute la semaine, avec plus de copains-copines sur Toulouse et un domicile proche, cela aurait été certainement différent. La première partie de soirée était clairement ma tasse de thé, le début de la seconde n'était pas forcément adapté à celui que je suis aujourd'hui. Je précise que je suis l'un des rares à quitter la salle, aucun des trois invités cités n'a poussé le public à fuir : c'est bien un ressenti personnel que je partage ici.
Dehors, une foule étrange s'approche enfin ; pas des gens en noir, pas forcément non plus des gens qui savent ce qu'ils viennent voir et écouter : des curieux. Les retours sur les performances de Years Of Denial [photo ci-dessus] et HIV+ (que je venais voir !) sont très bons. C'est donc une réussite, sur ce plan, d'avoir parié sur une ouverture avec un lieu plus consensuel et attractif. Et, effectivement, de soixante personnes quand je suis parti, l'affluence montera à deux-cent-cinquante à la fin des sets. À saluer. Sur notre route, nous croisons les foules de noctambules qui commencent leur nuit et font la queue sur les trottoirs des différents clubs. Décalage horaire assez étonnant.
Il est dommage après ma belle montée au Ravelin d'avoir eu ce gros passage à vide. Peut-être aurait-il été plus judicieux d'enchaîner sur du lourd d'entrée de jeu ? Quitte à ce que les retardataires loupent quelque chose et non pas ceux qui sont à l'heure en gardant le meilleur pour la fin…
Au final, et que ce soit clair : Obsküre et moi saluons l'action de Laurent Konstroy, ses affiches, ses idées un peu folles (une semaine ! Plusieurs lieux ! Plusieurs expressions artistiques ! Plusieurs styles !). Je suis extrêmement heureux qu'un festival comme celui-ci ait pu se tenir après les échecs des Gothicae et autres Gothic Dark Wave de Tilloloy, et fier que ce festival soit positionné dans notre sud-ouest plutôt avare en événements "dark". Je regrette en revanche le peu de relais par des personnalités toulousaines qui font que La Semaine Sainte n'a pas eu toute la promotion qu'elle méritait - et je souhaite que ce report ne soit pas pris pour autre chose que ce qu'il est : un avis et un éclairage personnels sur une soirée de clôture.