Ce qui frappe immédiatement avec le travail de Laetitia Sheriff, c'est la grande justesse des arrangements. Avec ses quatre minutes et quelques, le premier titre "People rise up" est un modèle-étalon. Les guitares sonnent garage, bien rugueuses et sans apprêts, la batterie semble postée sur la terrasse, sans frappe trop forte, la ligne claire et la basse donnent aussi dans la douceur. La voix chante sans emphase, se permettant un détachement des syllabes de toute beauté ("stand up / rise up"), et surgissent ces piaulements de cordes, de plus en plus présents à mesure que l'émotion et la joie gagnent. La musique est signifiante, le break s'élève, la voix rejoint la musique, toujours plus haut, à la rencontre des solidarités et des luttes. Le tourbillon gagne le morceau qui vire vers un post-punk calibré The Arcade Fire. "Pamper Yourself" dresse le patron complémentaire : guitare acoustique avec le bruit des doigts glissant sur les cordes, son plein, voix flottante légèrement nimbée : presque trop parfait pour cette balade sucrée, pourtant judicieusement placée dans l'album (la réflexion sur la composition est marquée également par la succession des huitième et neuvième titres). On lui préfère "Go to Big Sur" avec son dialogue cuivres-voix, son ambiance nocturne et en partie désabusée.
A contrario, "We are You" convoque à la fois la fièvre d'une section rythmique jazzy-rock et les volutes arc-en-ciel d'un film bollywoodien. L'équilibre est parfait, élégant et mesuré dans son déballage. "Outside" possède la même grâce aérienne, entre ses couplets colériques et son refrain enjoué. C'est ce sentiment de puissance joyeuse qui prend le dessus, porté par des riffs sensibles et un jeu harmonique bien dense (combien de pistes avant le trémolo final ?).
La Rennaise sort son quatrième album (on ne compte pas le live, ni la collaboration Often False), six ans après Pandemonium, Solace And Stars (et l'EP The Anticipation en 2015). Stillness, rappelons-le, signifie Immobilité, celle contre laquelle elle s'insurge en ouvrant de nouveau son monde conscient aux fidèles Thomas Poli (Montgomery, Dominique A, ESB) qui prend les guitares et amène son synthétiseur et Nicolas Courret (Bed, Headphone, Eiffel) en charge de la batterie. Avec eux, l'évidence se fait jour, en formule power trio bubble-gum ("Deal with This", petite pépite de grunge douceâtre, à la Lush ou Magnapop). Pour contrer cette impression trop propre, le groupe livre une introduction à la Sunn O))) (on s'amuse souvent à l'écoute du disque, grâce à ces clins d’œil !) avant de livrer un deuxième missile grungy ("Sign of shirking"). On apprécie aussi la bascule dans le doom acrobatique avec "Stupid March", cette belle petite gifle.
Une fois de plus, on pense à la manière de P.J. Harvey, non pour le chant (quoique, "A stirring World" et "Go to Big Sur" un peu quand même...), mais pour cette façon de conjuguer un esprit hérité des années 1990 et un format pop-rock qui fouille dans les recoins du blues. Le parallèle avec l'Anglaise se nourrit aussi de cette même liberté et de ce talent non négligé puisque tout est travaillé ; le disque est un ensemble qui fait date.
Enregistré dans les conditions du live, Stillness a son lot d'effets : bref doublage de la voix qui donne un sourire ("A stirring World"), quelques samples légers, une introduction féérique pour "Deal with This". Les choix esthétiques sont assumés et défendus par une conception rigoureuse de l'ordre des titres, lequel fait redescendre joies et tensions avec le final "Ashamed" : un morceau qui portera en lui la frustration des auditeurs, comme lorsque les parents coupent une bonne soirée pyjamas en donnant l'ordre d'éteindre les lumières...