La pièce de Sophocle aura inspiré des tas d’artistes et, après l’album culte de Clair Obscur au milieu des années 1990, c’est Laurent Pernice, vétéran des musiques cold, indus et expérimentales, qui nous livre un disque d’une beauté intemporelle, dark et mélancolique, portée par les cordes et des traitements électroniques envoûtants. Rassemblée en une vingtaine de pièces sonores de durées variées, cette bande originale accompagne au départ le spectacle d’Emma Gustafsson et Laurent Hatat mais peut fonctionner en toute autonomie et se révèle être l'une des plus grandes réussites du compositeur. L’alliance de la viole, du cithare, de la harpe et de la contrebasse créent déjà une communication hypnotique entre les instruments, puis leurs traitements par divers effets électroniques n’est pas sans évoquer la profondeur chimérique et les textures oniriques et angoissées d’un Tim Hecker.
L’album se partage ainsi entre des morceaux d’une douceur évanescente, fragile et lumineuse ("Ismène à Thèbes", "Thème d’Antigone + Son reflet dans l’ombre") et des pièces plus cinématographiques et inquiétantes ("Avant la lutte", "La Houle en Mer"), renvoyant parfois au concept des "musiques immobiles" que Pernice avait lancé au début des années 1990, pas loin du drone et du dark ambient ("La Colère de Créon", "Là, point de Douleur"). Il y a bien sûr une dimension très dramatique ("La Lutte", "La Punition des Dieux") qui doit sûrement porter la pièce de théâtre sur laquelle ces compositions s’appuient (le spoken word sur "Stasimon 1") mais le calme oriental et halluciné de l’ensemble nous plonge déjà dans un univers immersif et paralysant de beauté. La poésie de Pernice, qui officie par ailleurs dans le projet expérimental Palo Alto, n’est pas sans rappeler les derniers albums de Denis Frajerman, avec leur mélange de folklore des Balkans, d’arrangements de cordes, de basses cold et d’arpèges incandescents ("Une fine Poussière le recouvrait"). Le périple s’achève sur un titre plus long, poignant et porté par une harpe ensorcelante ("Antigone au Tombeau"), qui nous donne juste envie de reprendre l’écoute dès le début.
Une totale réussite, étrangement accessible, qui ne peut qu’inciter à fouiller plus avant dans l’œuvre d’un musicien pas encore considéré à sa juste valeur.