Ce disque au format singulier CD + DVD était resté sur mon étagère en attendant que je puisse voir tous les films qui y figurent à la suite. En effet, s'y développe une narration poétique qui ne pourrait fonctionner si on y picore des petites portions. Laurent Pernice nous emmène en voyage, et il faut être disponible dans sa tête pour pouvoir se laisser porter vers ces contrées dépaysantes. Figure incontournable des courants expérimentaux, ambient et industriels depuis son mythique Détails en 1988, le musicien a fourni un travail titanesque sur cet opus qui regroupe à la fois les douze titres de l'album de 2018, A World Too Late, et dix-huit vidéos originales.
Publié à l'origine sur The Sublunar Society, A World Too Late développait une musique électronique atmosphérique, étonnamment accessible, groovy ("Armenian Soul") et cinématique ("A World too late"). Parfois, on y sent des relents à la Warp ("Pim Pam Poum"), un exotisme psychédélique ("Hyperdelic Structures") et des ambiances recherchées et mélancoliques ("Op 15 n°7_Schumann revisited"), le tout coloré de field recordings ("L'Espoir") et de sonorités orientales. Mais voilà, les évocations visuelles étaient tellement fortes que le projet ne semblait pas terminé. Avec ce DVD, on capte l'étendue de ce travail et on découvre aussi des versions et des morceaux qui avaient toutes les qualités pour figurer sur l'album (l'hypnotique "Ne rien dire", "Décroché" et ses arrangements à cordes). Plus encore, s'y ajoutent la voix et les textes de Pernice qui créent un lien entre tous les titres et nous font apprécier l'ensemble de ces vidéos comme un long métrage.
Pernice n'a pas laissé de côté la noirceur ("Cheval de Bataille"), mais elle se teinte ici de mille couleurs. Toutes les techniques du cinéma expérimental sont rassemblées (déformations, superpositions, abstractions, animation, grains, stock shots et found footage) mais on est fasciné par les juxtapositions poétiques entre les mots et les images. On y voit beaucoup de routes et de paysages, des corps qui dansent et des décors de ruines comme après une catastrophe. Les environnements sont souvent grandioses, comme ces déserts écrasés par le soleil. La musique avance, et tout un imaginaire déglingué, populaire et incongru l'accompagne (des Yeti, des playmobils, des Tarzan...). La danse apparaît comme un réflexe de survie dans cette apocalypse, soulignée par cette tristesse sous-jacente ("Dance on the Volcano", "L'Incendie", ou encore le poignant "L'Ennui"). La voix souvent à la limite du murmure transforme ces dérives oniriques en confessions parfois bouleversantes. On parcourt alors ce journal intime avec émotion, où on peut retenir des mots, des objets, des sensations. Au final, on a l'impression parfois d'être dans la tête d'une personne en dépression qui se crée des mondes pour échapper à la névrose, la solitude et l'aliénation. En ce sens, le DVD se révèle beaucoup plus noir et cold que le CD. Il faut surtout souligner la qualité d'écriture car, pour un musicien qui a toujours œuvré dans l'instrumental, Pernice s'affirme comme un grand écrivain. Plus qu'un disque-concept, ce UMTT est une vraie révélation.