Clapotille est un livre étonnant. L'éditeur, Fables Fertiles, s'est lancé en 2022 et malheureusement on a encore une phase de rodage avec un souci sur l'endroit où on ferme les guillemets dans le dialogue. C'est un détail irritant pour la lecture, fort heureusement équilibré par une relecture consciencieuse puisqu'il n'y a sans doute pas de fautes dans l'ensemble du libre.
L'un équilibre l'autre et on apprend à passer sur ces guillemets mal fermés, dit-il. »
Revenons donc à Clapotille. L'idée forte est de redonner cadre et formes à la notion de "conte". Qu'est-ce qu'un conte aujourd'hui, alors même que la tradition a été édulcorée par Disney et ses avatars, que le genre est malmené dans les programmes du collège ; et que, finalement, notre monde ne sait même pas s'il a besoin de ce décalage et de ces rêves ?
Au cinéma, Le Labyrinthe De Pan, réalisé par Guilllermo del Toro (sorti en 2006) posait de nouveaux jalons. Clapotille est dans cette lignée. Laurent Pépin met en scène des personnages presque réalistes, le père, la fille, le copain futur petit-ami, la mère absente, l'enfant disparu. Cependant, d'entrée de jeu, leur apparition au monde est extra-ordinaire. Ils ne sont pas de notre univers, quand bien même ils vivent dans un appartement, avec lit, fenêtre, porte, etc.
Leur transfiguration en personnages fantaisistes (plus que fantastiques) permet, par glissement de faire comprendre que cette coloration imaginaire cache un réel effroyable. On peut songer aux Six Personnages En Quête d'Auteur de Luigi Pirandello (pièce à relire à défaut de la voir).
Ici le père ne souhaite pas être l'ogre, l'enfant ne veut pas non plus s'échapper ; l'enfant protège le père. La mère est la bonne fée qui surveille depuis les limbes. Des talismans, des souvenirs agissent en plus des pouvoirs que chacun a (sur les rêves, sur les mots, sur la métamorphose du réel).
Autour de ce cercle familial, le monde ne veut plus imaginer, c'est un ensemble flou, peu attirant contre lequel Clapotille est mise en garde. Il y a donc une profondeur et une complexité dans les rapports entre ces deux survivants (père et fille) et leur lutte pour exister, développer leur personnalité et tout ce qui fait sens pour eux.
Ils ont un passé à conserver, un avenir à construire, mais un présent dans lequel la lutte est continuelle. Les rôles s'inversent et Clapotille est celle qui tente de porter le père, quand bien même celui-ci semble céder à ses penchants effrayants.
Derrière le spectre angoissant de l'inceste et de l'éveil des sens de la jeune fille, Pépin livre une histoire à rebondissements, comme on explore des tiroirs, croyant y voir une chose puis en découvrant d'autres une fois qu'on y revient.
Face à cette profusion, le conte Clapotille tangue, hésite, revient en arrière et virevolte. Le lecteur suit le cheminement chronologique, les dimensions qui s'ouvrent au fur et à mesure que prennent toute leur place des personnages pas si secondaires (impossible quand on a le même prénom qu'Artaud, n'est-ce pas ?), mais il y a une confusion parfois dans la manière de relier les scènes-clefs. D'autant plus que les changements de narrateur sont multiples, ouvrant les points de vue et le récit vers ce que chacun croit comprendre de l'autre, entre illusions et refus de voir.
La force de représentation fait ainsi passer du net au flou, pour revenir à une mise au point précieuse lors de scènes à la poésie dérangée (dérangée comme dans La Cité Des Enfants Perdus de J.-P. Jeunet et Marc Caro, film sorti en 1995).
Il faut accepter ce guidage souple, étonnant, fragile. L'auteur me signale Claude Ponti (et à la relecture, c'est fort juste), de mon côté, je suis renvoyé au Richard Morgiève qui trouve un ton déplacé dans Ce que Dieu et les Anges.
La langue de Pépin, elle, est sobre, mais terriblement efficace avec des mots-valises, des phrases qui font mouche, une prose poétique sans lourdeur de style ou de lexique. C'est imagé, précis et inconfortable juste ce qu'il faut.
"Parce qu'on venait de comprendre brutalement que nos espoirs secrets de relations sociales ou amoureuses devaient être abolis, non plus seulement parce qu'ils faisaient proliférer notre trou noir mais parce qu'ils nous exposaient aux dangers du monde des autres. Parce qu'on comprenait qu'il était temps de devenir pour de bon un personnage pour toujours, rien qu'un personnage que les ténèbres du dehors ne pourraient plus effleurer."
NB : Clapotille est le dernier volet d'une trilogie.